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Le Stade de France était plein. Les gens discutaient, riaient, attendaient. Le stade attirait ce soir-là une foule mixte et variée. Il y avait des croyants, quelques militants, des chercheurs de sens, des sceptiques et des personnes en quête d’éveil. Ils venaient de toutes les classes sociales et de tous les horizons. Pour Clara, voir ça, c’était déjà un petit miracle sociologique.
Elion Noor entra lentement sur scène, pieds nus, saluant sans mots. Un halo blanc l’enveloppait.
Le DJ envoyait un beat très lent, percussif, presque tribal, comme un cœur.
Il prononça des premiers mots très doucement, dans un silence quasi sacré.
« Il est venu le temps de nous guérir. Il est venu le temps de nous aimer et de nous libérer. »
Elion respirait calmement. Un sourire et une mine joyeuse reflétaient une âme qui semblait, pure, sécure et infinie.
« Redevenir maître en nos demeures, en nos temples. Écouter, ressentir la moindre particule d’être qui jaillit du tréfond du corps. Le corps est un organe qui produit de la vie et de l’esprit. Et cela est bon quand ces deux-là dansent en nous, à travers nous. La maltraitance nous en écarte depuis longtemps. Accueillez vos peurs et vos conflits, comme une mère douce et nourrissante. Comme une mère, bonne et chaleureuse, qui réconforterait et sourirait face à la futilité de vos soucis. Aimez-vous profondément. Aimez profondément. Rejoignez-moi, vous connaissez le chemin. L’humanité l’empreinte depuis toujours. Humble. Fragile. À l’écoute. Vulnérable. Nous avons le droit d’être aussi cela. Nous avons le droit d’être nus et sensibles, bons et désirants, aimants et réjouissants. »
La musique montait en nappes planantes, puis en rythme.
« Respirez, ressentez, écoutez. Déposez comme moi, vos mains sur votre cœur. Vous êtes en sécurité, vous êtes en liberté, vous êtes respecté et apprécié. Aimez et ressentez. Calmer l’excitation, calmer l’agitation. Harmoniser les ondes. Harmoniser les pensées dans le silence profond et bienveillant de la conscience. Unissons. Unissons nos ondes et nos battements. Unissons nos sensations et nos sentiments. Que tous nos temples, que tous nos corps, fassent un édifice luisant de mille feux et de mille perceptions. Ressentez. Écoutez. Vivez. J’existe. Vous existez. Nous existons. L’âme se réjouit naturellement de vivre et d’exister. Qu’y a-t-il de plus important ? Qu’y a-t-il de plus essentiel ? »
La musique devenait une transe douce, vibrante, appuyée par de petites tonalités étincelantes et persistantes.
Il s’était mis à danser, il invita la foule à onduler. Les bras des personnes en fauteuil roulant à l’avant de la scène ressemblaient à des algues marines, agitées par une houle harmonieuse. Il fit silence. Longtemps. Pour que tout le monde s’unisse intérieurement. Que tous empruntent et convergent dans le chemin de grâce et de transcendance.
La musique était invitante et envoûtante.
« Entrons dans le fleuve de la vie et de la réalité. Avec toute notre conscience. Avec toute notre âme. De tout notre Être. Induisons nous. Evaporons nous dans l’Essentiel. Fusionnons. Avec le Créant. Ce Tout immense et uni. La Création est une étendue d’énergies vibrantes, de matières vitalisées et vitalisantes, d’esprits réjouis et réjouissants. Elle était là avant nous. Elle sera là après nous. Elle est là avec ou sans nous. Surtout sans nous. Tant qu’il y aura de la vie qui s’écoulera à travers vous. Tant qu’il y aura de l’amour qui s’émanera et qui se réjouira de vous. C’est que Cela sera avec vous. Et voilà ce que je suis venu vous dire ce soir, voilà ce que je suis venu annoncer. Faisons un pacte d’union. Faisons Alliance. Une arche vibrante. Laissons-nous nous y accueillir. Laissons-nous cueillir et saisir. Jouissons de toute notre âme. Jouissons de tout notre vivre. Jouissons de toute notre présence. Vous êtes ici, et je vous aime. Vous êtes aimés. Ne vous écartez pas, ne vous reniez pas, vous êtes voulus. »
Une lumière bleue se répandit dans la foule.
Elion parlait fort, clair et vibrant.
« Faisons-nous cette promesse, faisons vivre et perdurer la vie, unissons-nous à elle. Elle qui vous veut du Bon. Du Beau. Du Bien. Voilà ce qu’est le Bien. Tout ce qui nous fait être bien et nous sentir bien. Devenons des êtres de Bon et de Bien. Des Êtres de vie. Devenons des fontaines de réjouissances et d’amour. À quoi bon qu’il y ait un monde ? Qu’il y ait nous là, sur cette planète-ci, plutôt qu’autre chose ou plutôt que rien ? Il aurait pu n’y avoir rien, mais voilà, Cela est, et nous sommes. Et il est bon de vivre, ici, maintenant, dans ce monde. Réjouissons-nous, unissons-nous, faisons de nos êtres des forces de vie, de bien et de bon. »
La musique changea de ton pour devenir plus haletante et combattante.
« Luttons contre les ténèbres. Elles sont là, elles aussi. Elles rôdent en nous. Elles reviendront, elles vous tirailleront. Elles essayeront de reprendre le contrôle de votre mental et de vos âmes. Elles viendront vous parasiter. Elles vous feront haïr. Elles vous feront détruire. Elles feront du mal. Elles feront souffrir. Elles transformeront vos temples en un gouffre de chairs agonisantes, blessées, mal menées. L’enfer est à portée d’esprit. Cela tentera de revenir. Il faudra l’écouter, l’accueillir. Toute cette souffrance, toute votre souffrance. Comment peut-on soigner quelque chose qu’on ignore, qu’on rejette ou qu’on maltraite ? C’est cela l’Enfer : avoir rejeté des parts sensibles de nous. Oubliées et condamnées à errer dans les profondeurs de votre âme et de votre esprit. Réunifions-nous. »
La musique se fit de nouveau plus douce et apaisante.
« Quand l’agitation, la peur de la sanction et la haine toquent à votre esprit, mettez fin aux supplices. Faites-vous le plus vulnérable et bon que possible. C’est en rapetissant qu’on grandit. C’est en ressentant la peine et la souffrance que l’on guérit. Je vous le dis, n’ayez pas peur des ombres, n’ayez pas peur d’avoir peur. Et n’ayez pas peur de la douleur passée, c’est une chimère, un fantôme. Seul le démon de la peur inutile persiste après la douleur qui a été mal accueillie. La douleur et le bonheur se vivent que dans le présent. Accueillons-les pareillement. La Création et la Vie ne sont pas diaboliques. Ressentez tout. Le bonheur, dégustez-le. La peur et la colère, ressentez-les, sécurisez-les, prenez-les en compte. Acceptons et prenons en compte la douleur et la mort qui font la vie, qui la protègent et la subliment. Mais ne nous enterrons pas avec. L’enfer, c’est d’avoir été empêchés d’être en pleine sensation et compassion avec nos peines, nos peurs et nos souffrances. »
Le son devenait plus ample, plus simple et enveloppant.
« Ressentez, vivez ce que vous vous êtes empêchés. Laissez au passé ce qui appartient au passé. Afin de pouvoir, de jour en jour, de jour en jouir, vivre plein cœur, plein poumon. Qu’est-ce que la peine ? Qu’est-ce que la peur ? Qu’est-ce que la douleur ? Sinon des sensations ? Des signaux pour nous indiquer où aller dans notre vivre. Écoutez-les entièrement et accueillez-les pleinement. Les angoisses et les peines de jadis et d’aujourd’hui. Délivrez-vous de l’enfer personnel. Devenez avec moi, avec nous, une force pour l’avenir du monde et de la vie. Guérissons nos blessures. Soignons-nous. Aimons-nous. Humains et non-humains. Avec nos peurs et nos désirs, avec nos peines et nos affections. Faisons ensemble une force d’harmonie, ardente et protectrice. Ressentons, défendons et intensifions le Bon que nous offre la Vie. Ici, maintenant, longtemps. Face à tous les esprits encore abîmés, encore pollués, mutés en force plaintive, fuyante ou destructrice. Unissons-nous. Invitons-les à prendre soin d’eux, de nous et de leurs enfants dans un monde en perdition. Ne soyons plus troublés par cela. Ce qui est, est. Et rien ne sert de nous condamner à en être malheureux. Il est bon de vivre. Tel que cela est, tel que nous sommes. Rejoignons la vie bonne. Guérissons. Il y a un océan de perceptions sublimes et inouïes, vivantes et bienveillantes, à portée de main et d’esprit. Ici et partout, dans tous les corps, à travers toutes les âmes. Unissons-les. Réjouissons-les. Aimons-les. Protégeons-les. Faisons face. Faisons sensibilité. Faisons amour. Faisons bonheur. »
Clara était conquise, il fallait unir leurs forces. Il fallait que l’amour l’emporte.