La Mise au Monde – Chapitre 7

-7-

Noah fut accueilli à L’Elysée par un agent administratif qui le guida jusqu’au bureau du Président.

Il y avait autour de la table 4 personnes. Assia Abebayo qu’il connaissait et qui discutait amicalement avec deux autres personnes. Une femme qui portait sur elles des cernes et une attitude nerveuse et fatiguée. C’était Stéphanie Martela, la présidente du syndicat des Mal Soignés. Et avec, à sa droite, un jeune homme, quasi un ado. Jules Gomez, le président de la branche de ce même syndicat qui représentait et défendait les anciens enfants maltraités. En face d’eux, il y avait Monique Sivili, la présidente du syndicat des médecins. Il l’avait vu sur les plateaux télévisés. Elle n’allait pas être une alliée.

Au moment où Noah s’asseyait, Lucio entrait prestement dans le bureau.

– Bonjour à tous. Pas la peine de vous lever. Merci de vous être déplacés. On a un sujet important à traiter. L’objectif est de penser ensemble la transformation du système de santé public. On a une heure pour cela.

Noah se serait cru accueilli par un de ces profs durs et rigoureux qui vous imposait un de ces devoirs surveillés surprises. Noah décida de se prendre au jeu. Et en parcourant d’un regard, tout le monde autour de la table, sauf Monique Sivili, y semblait disposé.

Lucio Vesperin poursuivit.

– Nous sommes ici pour améliorer significativement notre système de santé. En faire un commun accessible, bienveillant, efficace. Un service public qui respecte ceux qui y travaillent, comme ceux qui y guérissent ou y meurent. Un modèle pour le monde, un bien commun pour l’humanité.

Assia était surprise par la capacité de cet individu à prononcer des phrases aussi immenses, tellement plus hautes que lui. Elle s’imaginait d’autres les prononcer et s’en parer de ridicule. Mais chez lui, il enfilait un peu ça comme une chemise, prêt pour la responsabilité, ou comme un uniforme, prêt pour le combat. Il était en fait plutôt crédible dans son rôle et son ambition démesurée, dans son Don Quichotte de la néo-modernité. Assia était contente d’avoir affaire à un optimiste. Le pire, en négociation, c’est d’avoir à faire à des frileux, qui pensent comment se protéger plutôt que comment avancer.

– Sur le papier, c’est bien, s’enquit Monique Sivili. Mais vous pensez que vous allez sauver la situation avec les pratiques de M. Pasteval ? Il vend du rêve néolibéral comme solution à un problème social. A vrai dire, je trouve ça imprudent et irrespectueux de vous fier qu’à lui. N’y a-t-il pas un conflit d’intérêt à ne traiter qu’avec lui comme partenaire économique pour mener votre réforme ?

– Madame Sivili, ce que je vous garantis, c’est que M. Pasteval n’a pas fait d’exception au regard des règles en matière de marché public. Sa plateforme est certifiée, open-source et protégée. Elle est hébergée dans un Groupement d’Intérêt Public sous contrôle de la CNIL et de l’Agence du Numérique en Santé. Il perçoit une micro-commission pour chaque ordonnance validée. Cette commission sera recalculée chaque année, pour couvrir uniquement les frais de service et d’amélioration du dispositif. Ni pub, ni revente d’aucune données. Nous ne parlons pas ici de libéralisation sauvage, mais d’une expérimentation publique contrôlée. Et croyez bien que si un conflit d’intérêt devait surgir, ce dispositif serait immédiatement suspendu. Monsieur Pasteval représente une force de progression brillante et opérante en matière de santé. Cela ne veut pas dire que je suis inféodé à sa logique et à ses intérêts. Mon rôle sera de faire des propositions jusqu’à ce qu’une convienne à tout le monde autour de la table ici. Est-ce que cela vous convient ?

– Oui, allons-y, répondit Monique Sivili hésitante. Mais je ne vous garantis rien, j’espère juste que cela ne soit pas une mascarade.

– proposition d’entente n°1 : tous ici reconnaissons que le système de santé actuel est perfectible. Et que ces trois piliers sont en crise : patients, soignants, soutenabilité budgétaire. Lucio balaya les visages pour sonder les réactions. Tous en convenaient.

– Attendez, avant d’aller plus loin, dit cependant Stéphanie Martela. Je vois bien que ça va pas pour les patients et les soignants. Mais qu’est-ce que vous entendez par soutenabilité budgétaire ? Vous savez moi je suis assistante maternelle et toute ses choses tout au-dessus, ça m’échappe pas mal.

– Disons que le système de santé actuel coûte beaucoup d’argent, il coûte 287 milliards d’euros par an. Avec les mouvements et les grèves d’il y a deux ans, vous avez négocié 15 % d’augmentation du budget. La France est devenue le pays d’Europe qui consacre le plus d’argent à la Santé. Ce qui est préoccupant, c’est que pour cela, le pays s’endette.

L’endettement, en soi, n’est pas un mal. Il permet d’investir dans des choses utiles, comme les hôpitaux, l’école ou les transports. Mais cela devient un problème quand ce que l’on dépense chaque année dépasse durablement ce que l’on gagne. C’est comme une famille qui vit avec une carte de crédit en espérant que tout ira mieux demain.

Et cela est dangereux, parce qu’un pays endetté devient dépendant. Il doit emprunter sur les marchés financiers. Et ces marchés imposent leurs conditions : taux d’intérêt plus hauts, perte de confiance. Et au final, moins de marge de manœuvre pour aider les plus fragiles ou répondre à une crise. La soutenabilité budgétaire, c’est ça : s’assurer que ce qu’on dépense reste supportable sans creuser un trou qu’on transmettra à nos enfants.

Nous voulons réformer la santé. Pas pour la brader. Mais pour la rendre plus intelligente, plus respectueuse, plus juste. Et moins lourde à porter pour le pays. Si on continue comme aujourd’hui, sans rien changer, ce n’est pas la santé qu’on protège : c’est un château de cartes. Pour que le système ne s’écroule pas sous le poids de l’argent qu’on a pas et qui dépend des autres, il nous faut une réforme. Est-ce que c’est plus clair ?

– Oui, je comprends, merci.

– Je laisse maintenant le soin à Monsieur Pasteval de présenter son dispositif. Soyez clair et bref. Rien de trop, rien d’omis.

Noah dégluti sous la pression contrainte par le Président. Heureusement, il était bien préparé.

– Voyez, aujourd’hui quand une personne ne va pas bien, elle doit attendre des semaines, parfois des mois, pour voir un médecin. Elle ne sait pas toujours à qui parler, ni par où commencer. Et souvent, elle ressort avec un médicament, mais pas une vraie solution.

Moi, ce que je propose, c’est de créer un système de soin intelligent, juste, simple, et humain. Comme un GPS pour la santé. On ne remplace pas les gens, on les aide à mieux se soigner.

 Concrètement, comme ça va se passer :

La personne parle à une IA, une sorte de conseillère en santé toujours disponible, jour et nuit. Elle raconte ce qu’elle ressent, ses douleurs, ses angoisses, sa fatigue, ses problèmes de famille ou de travail. Tout ce qui peut jouer sur sa santé.

L’IA l’écoute et elle lui propose un plan de soin adapté. Ça peut être un rendez-vous médical, de la kiné, du sport, un soutien psychologique, des conseils alimentaires…

La personne peut poser des questions, dire ce qu’elle préfère, ou ce qu’elle ne comprend pas. Elle reste actrice. Une fois qu’ils sont d’accord, l’IA prépare une d’ordonnance, avec toutes les étapes pour aller mieux, en prenant en compte les dernières recherches scientifiques. Si c’est un problème grave ou compliqué, un médecin humain prend le relais pour superviser. On garde le lien avec de vrais soignants.

Ensuite, tout s’organise automatiquement : les rendez-vous, les transports, les livraisons, les rappels. C’est fluide, comme un planning bien fait pour ne rien oublier. Et au fil du temps, la personne apprend à mieux se connaître, à prévenir les rechutes, à agir dès qu’un souci arrive. Elle devient moins dépendante, plus libre, plus forte.

Cela a été conçu pour satisfaire le plus possible vos revendications. Ce que je propose, c’est un système de soin qui aide chacun à devenir un peu son propre médecin et d’avoir le soin le plus adapté et le plus efficace au plus tôt. Et tout cela sans ruiner l’État, parce que le système se finance en prenant juste ce dont il a besoin, c’est à dire moins d’un euro par ordonnance délivrée. Bien moins cher et beaucoup plus rapide que ce que coûte un rendez-vous classique.

Monique Sivili était furieuse.

– Vous comptez remplacer des années d’études par des lignes de code ?

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La Mise au Monde – Chapitre 6

-6-

— On n’attend pas la coprésidente de la Ligue ? demanda Emmanuel, préoccupé.

— Clara m’a dit qu’elle allait arriver. Assia n’avait pas fini sa phrase que Clara ouvrit la porte.

— Salut les amis ! Déso pour le retard. On a bien coupé nos téléphones et rangé dans la boîte. Je suis venue avec Rebecca, notre petite génie de l’informatique. Elle a mené des actions de hacking assez énormes. Elle a détourné les pubs Facebook et les sites des entreprises cotées qui faisaient du greenwashing. Elle les a transformés en fact-checking pendant notre campagne La Bourse ou la Vie. Ça avait permis de faire une grosse com médiatique sur le vrai bilan écologique et social du capitalisme.

Rebecca, comme Clara, venait du Syndicat des Mal Employés. Autiste, elle n’avait jamais trouvé d’organisation capable de s’adapter à elle. Mais elle avait fini par militer, puis bosser pour la Ligue des Vivants. Elle était devenue responsable du pôle Actions Numériques. Un groupe d’hacktivistes qui était venu compléter la force des actions directes et publiques.

— Salut Rebecca ! Trop bien que tu sois là, tu vas pouvoir nous aider, se réjouissait Agathe. Parce que là, c’est la cata sur les datas. Tous nos comptes ont été supprimés. Plus rien. Réseaux sociaux : envolés. Le site web, Inaccessible. Tout l’historique a été effacé. Numériquement, on n’existe plus.

— OK, répondit Rebecca. Les failles dans le système d’info des syndicats étaient connues. C’était à prévoir. On a eu des attaques similaires contre le système informatique de la Ligue des Vivants, mais il a tenu. Il faudra déployer les mêmes sécurités pour l’Union des Non-Travailleurs une fois qu’on aura tout remis sur pied.

— Mais comment tu veux faire ça ?

— On fait des sauvegardes hebdomadaires de toutes les données de la Ligue et des Syndicats. Les données sont copiées sur un serveur interne complètement isolé. À priori, on aura perdu les publis des deux ou trois derniers jours, pas plus. On va pouvoir tout remettre en ligne.

— C’est top, mais nos comptes Facebook, X et TikTok ont été supprimés et bannis. Ils disent que c’est en accord avec leurs CGU. Et ils ont même communiqué dessus. Un communiqué de presse, des posts sur leurs plateformes. Ils nous font passer pour des terroristes, s’inquiétait Agathe.

Assia, calme, notait quelques mots dans son carnet. Puis, elle prit la parole.

— Vous savez quoi ? C’est bon signe. On leur fait peur. Ils veulent étendre cette peur pour mieux se défendre. À nous de riposter.

Elle leva les yeux vers le groupe.

— Ce qu’on fait, c’est juste. On a un projet de loi sur la fiscalisation des pubs internet qui arrive. Et selon nos contacts à l’Assemblée Européenne, ça peut passer. À condition qu’on continue de révéler les scandales des Big Tech. Ce que vous avez fait avec La Bourse ou la Vie et la campagne contre les Big Tech, pour les Communs est décisif. Vous avez montré que l’argent des pubs numériques permettrait de financer la totalité des indemnités de chômage, du RSA et des aides sur tout le continent. Une révolution numérique qui enrichit quelques-uns sans faire profiter les autres. Les réseaux sociaux doivent devenir publics, c’est une question de société. Vous vous êtes rassemblés, des centaines, devant leurs bureaux en Europe. Vous avez dénoncé les failles du système et ils continuent à en abuser.

— Ça en failles, ils s’y connaissent, ajouta Veronica. Psychologiques d’abord : ils détournent l’attention vers des conneries, des mensonges et des récits va-t-en-guerre. Politiques ensuite : ils vendent cette attention sans jamais rien redistribuer. Et maintenant, ils utilisent leurs failles réglementaires et techniques pour nous étouffer.

— On va répondre. Fort. Assia poursuivait, sûr d’elle et déterminée. Une contre-campagne médiatique. Vidéos. Témoignages. Rapports. On montre tout. On explique que lorsqu’on défend les citoyens, on est exclus. Mais quand on répand la haine, les manipulations, les plateformes laissent faire. On inverse le miroir. On leur dit : vous ne voulez pas nous inclure dans votre monde ? Alors on va vous inclure dans le nôtre. Celui de la citoyenneté. Et de la justice.

Faisons une action forte et coordonnée. Actions publiques + boycott des plateformes + hacking du système publicitaire si nécessaire. On exige qu’ils déploient une IA réellement préventive contre le harcèlement individuel et l’oppression collective. C’est possible. Le collectif des programmeurs humanistes a déjà une solution. Qu’ils ne récupèrent plus un kopeck tant que leurs plateformes ne sont pas impecs. Et ensuite, on demande une redistribution des profits : 20 % des revenus pub pour les inemployés.

— Ok, dit Clara. On mobilise la com de la Ligue. On balance les infos. On convoque des assemblées populaires. On lance la contre-offensive. Moins d’exclusion, plus de redistribution. On visibilise les décisions de vote des députés pour éviter qu’ils ne soient achetés.

— On pourrait aussi de nouveaux manifester devant les GAFAM, proposa Agathe. Mais cette fois-ci, bloquer l’accès à leurs bureaux. On les empêche de rentrer. On leur dit : « Vous nous interdisez d’exister publiquement et vous laissez la société s’écharper et s’endetter ?  Ne vous étonnez pas que les citoyens vous interdisent de travailler. »

— « Vous avez des plateformes qui vous rendent riches. Nous, on est la société. Et on veut que vous soyez dedans, avec nous. Ni au-dessus, ni en exil », compléta Emmanuel.

Assia releva la tête, posée, droite.

— On va gagner.

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La Mise au Monde – Chapitre 5

-5-

Le Stade de France était plein. Les gens discutaient, riaient, attendaient. Le stade attirait ce soir-là une foule mixte et variée. Il y avait des croyants, quelques militants, des chercheurs de sens, des sceptiques et des personnes en quête d’éveil. Ils venaient de toutes les classes sociales et de tous les horizons. Pour Clara, voir ça, c’était déjà un petit miracle sociologique.

Elion Noor entra lentement sur scène, pieds nus, saluant sans mots. Un halo blanc l’enveloppait.

Le DJ envoyait un beat très lent, percussif, presque tribal, comme un cœur.

Il prononça des premiers mots très doucement, dans un silence quasi sacré.

« Il est venu le temps de nous guérir. Il est venu le temps de nous aimer et de nous libérer. »

Elion respirait calmement. Un sourire et une mine joyeuse reflétaient une âme qui semblait, pure, sécure et infinie.

« Redevenir maître en nos demeures, en nos temples. Écouter, ressentir la moindre particule d’être qui jaillit du tréfond du corps. Le corps est un organe qui produit de la vie et de l’esprit. Et cela est bon quand ces deux-là dansent en nous, à travers nous. La maltraitance nous en écarte depuis longtemps. Accueillez vos peurs et vos conflits, comme une mère douce et nourrissante. Comme une mère, bonne et chaleureuse, qui réconforterait et sourirait face à la futilité de vos soucis. Aimez-vous profondément. Aimez profondément. Rejoignez-moi, vous connaissez le chemin. L’humanité l’empreinte depuis toujours. Humble. Fragile. À l’écoute. Vulnérable. Nous avons le droit d’être aussi cela. Nous avons le droit d’être nus et sensibles, bons et désirants, aimants et réjouissants. »

La musique montait en nappes planantes, puis en rythme.

« Respirez, ressentez, écoutez. Déposez comme moi, vos mains sur votre cœur. Vous êtes en sécurité, vous êtes en liberté, vous êtes respecté et apprécié. Aimez et ressentez. Calmer l’excitation, calmer l’agitation. Harmoniser les ondes. Harmoniser les pensées dans le silence profond et bienveillant de la conscience. Unissons. Unissons nos ondes et nos battements. Unissons nos sensations et nos sentiments. Que tous nos temples, que tous nos corps, fassent un édifice luisant de mille feux et de mille perceptions. Ressentez. Écoutez. Vivez. J’existe. Vous existez. Nous existons. L’âme se réjouit naturellement de vivre et d’exister. Qu’y a-t-il de plus important ? Qu’y a-t-il de plus essentiel ? »

La musique devenait une transe douce, vibrante, appuyée par de petites tonalités étincelantes et persistantes.

Il s’était mis à danser, il invita la foule à onduler. Les bras des personnes en fauteuil roulant à l’avant de la scène ressemblaient à des algues marines, agitées par une houle harmonieuse. Il fit silence. Longtemps. Pour que tout le monde s’unisse intérieurement. Que tous empruntent et convergent dans le chemin de grâce et de transcendance.

La musique était invitante et envoûtante.

« Entrons dans le fleuve de la vie et de la réalité. Avec toute notre conscience. Avec toute notre âme. De tout notre Être. Induisons nous. Evaporons nous dans l’Essentiel. Fusionnons. Avec le Créant. Ce Tout immense et uni. La Création est une étendue d’énergies vibrantes, de matières vitalisées et vitalisantes, d’esprits réjouis et réjouissants. Elle était là avant nous. Elle sera là après nous. Elle est là avec ou sans nous. Surtout sans nous. Tant qu’il y aura de la vie qui s’écoulera à travers vous. Tant qu’il y aura de l’amour qui s’émanera et qui se réjouira de vous. C’est que Cela sera avec vous. Et voilà ce que je suis venu vous dire ce soir, voilà ce que je suis venu annoncer. Faisons un pacte d’union. Faisons Alliance. Une arche vibrante. Laissons-nous nous y accueillir. Laissons-nous cueillir et saisir. Jouissons de toute notre âme. Jouissons de tout notre vivre. Jouissons de toute notre présence. Vous êtes ici, et je vous aime. Vous êtes aimés. Ne vous écartez pas, ne vous reniez pas, vous êtes voulus. »

Une lumière bleue se répandit dans la foule.

Elion parlait fort, clair et vibrant.

« Faisons-nous cette promesse, faisons vivre et perdurer la vie, unissons-nous à elle. Elle qui vous veut du Bon. Du Beau. Du Bien. Voilà ce qu’est le Bien. Tout ce qui nous fait être bien et nous sentir bien. Devenons des êtres de Bon et de Bien. Des Êtres de vie. Devenons des fontaines de réjouissances et d’amour. À quoi bon qu’il y ait un monde ? Qu’il y ait nous là, sur cette planète-ci, plutôt qu’autre chose ou plutôt que rien ? Il aurait pu n’y avoir rien, mais voilà, Cela est, et nous sommes. Et il est bon de vivre, ici, maintenant, dans ce monde. Réjouissons-nous, unissons-nous, faisons de nos êtres des forces de vie, de bien et de bon. »

La musique changea de ton pour devenir plus haletante et combattante.

« Luttons contre les ténèbres. Elles sont là, elles aussi. Elles rôdent en nous. Elles reviendront, elles vous tirailleront. Elles essayeront de reprendre le contrôle de votre mental et de vos âmes. Elles viendront vous parasiter. Elles vous feront haïr. Elles vous feront détruire. Elles feront du mal. Elles feront souffrir. Elles transformeront vos temples en un gouffre de chairs agonisantes, blessées, mal menées. L’enfer est à portée d’esprit. Cela tentera de revenir. Il faudra l’écouter, l’accueillir. Toute cette souffrance, toute votre souffrance. Comment peut-on soigner quelque chose qu’on ignore, qu’on rejette ou qu’on maltraite ? C’est cela l’Enfer : avoir rejeté des parts sensibles de nous. Oubliées et condamnées à errer dans les profondeurs de votre âme et de votre esprit. Réunifions-nous. »

La musique se fit de nouveau plus douce et apaisante.

« Quand l’agitation, la peur de la sanction et la haine toquent à votre esprit, mettez fin aux supplices. Faites-vous le plus vulnérable et bon que possible. C’est en rapetissant qu’on grandit. C’est en ressentant la peine et la souffrance que l’on guérit. Je vous le dis, n’ayez pas peur des ombres, n’ayez pas peur d’avoir peur. Et n’ayez pas peur de la douleur passée, c’est une chimère, un fantôme. Seul le démon de la peur inutile persiste après la douleur qui a été mal accueillie. La douleur et le bonheur se vivent que dans le présent. Accueillons-les pareillement. La Création et la Vie ne sont pas diaboliques. Ressentez tout. Le bonheur, dégustez-le. La peur et la colère, ressentez-les, sécurisez-les, prenez-les en compte. Acceptons et prenons en compte la douleur et la mort qui font la vie, qui la protègent et la subliment. Mais ne nous enterrons pas avec. L’enfer, c’est d’avoir été empêchés d’être en pleine sensation et compassion avec nos peines, nos peurs et nos souffrances. »

Le son devenait plus ample, plus simple et enveloppant.

« Ressentez, vivez ce que vous vous êtes empêchés. Laissez au passé ce qui appartient au passé. Afin de pouvoir, de jour en jour, de jour en jouir, vivre plein cœur, plein poumon. Qu’est-ce que la peine ? Qu’est-ce que la peur ? Qu’est-ce que la douleur ? Sinon des sensations ? Des signaux pour nous indiquer où aller dans notre vivre. Écoutez-les entièrement et accueillez-les pleinement. Les angoisses et les peines de jadis et d’aujourd’hui. Délivrez-vous de l’enfer personnel. Devenez avec moi, avec nous, une force pour l’avenir du monde et de la vie. Guérissons nos blessures. Soignons-nous. Aimons-nous. Humains et non-humains. Avec nos peurs et nos désirs, avec nos peines et nos affections. Faisons ensemble une force d’harmonie, ardente et protectrice. Ressentons, défendons et intensifions le Bon que nous offre la Vie. Ici, maintenant, longtemps. Face à tous les esprits encore abîmés, encore pollués, mutés en force plaintive, fuyante ou destructrice. Unissons-nous. Invitons-les à prendre soin d’eux, de nous et de leurs enfants dans un monde en perdition. Ne soyons plus troublés par cela. Ce qui est, est. Et rien ne sert de nous condamner à en être malheureux. Il est bon de vivre. Tel que cela est, tel que nous sommes. Rejoignons la vie bonne. Guérissons. Il y a un océan de perceptions sublimes et inouïes, vivantes et bienveillantes, à portée de main et d’esprit. Ici et partout, dans tous les corps, à travers toutes les âmes. Unissons-les. Réjouissons-les. Aimons-les. Protégeons-les. Faisons face. Faisons sensibilité. Faisons amour. Faisons bonheur. »

Clara était conquise, il fallait unir leurs forces. Il fallait que l’amour l’emporte.

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La Mise Au Monde – Chapitre 4

-4-

Clara Lichtner avait été transformée. Elle avait lu le livre « Bâtir le Bonheur » d’Elion Noor. Au début, elle avait juste voulu le lire pour mieux comprendre. Pourquoi ce livre et son auteur plaisaient autant aux classes moyennes et populaires ? Elle voulait le lire pour mieux comprendre un phénomène social, et elle avait été saisie par le phénomène spirituel.

Clara avait participé à la création de la Ligue des Vivants aux côtés d’Assia Abebayo. En tant qu’ardente militante, lire un livre sur la spiritualité, c’était un peu comme être communiste à l’église. Ou athée et avoir Dieu comme meilleur ami imaginaire. Elle s’était sentie beaucoup mieux en le lisant. À tel point qu’elle ne pouvait plus ignorer le bien-être qu’elle avait éprouvé. Elle comprenait le succès, elle en faisait maintenant partie. Elle marchait dans les rues aux abords du Stade de France. Elle était venue acheter une place au noir qui lui avait coûté 50 euros. Elle se mêlait à la foule venue voir le Phénomène, le Prophète du 21ème siècle, comme l’appelaient ses plus fervents supporters.

Clara venait d’avoir 30 ans. Elle était brune, les cheveux frisés mi-longs, les yeux en amande entourés de lunettes rondes. Elle était pleine de curiosité et de liberté. Elle allait dans le monde avec tout son corps, tout son être et tout son intellect. Sa mère, ouvrière, avait épousé un avocat d’origine allemande. Il l’avait défendue lors du harcèlement sexuel que son patron lui avait fait subir à la SMPB. Enfant, elle avait eu du mal à l’école. Un trouble de l’attention lui faisait voyager dans un océan d’imagination immense. Mais la faisait galérer sur de simples petits énoncés. Ajoutez à cela la rigueur inutile du cadre, qui oblige à rester assis sans bouger. Et vous obteniez d’elle une démobilisation suffisante : le lycée professionnel et une vie d’ouvrière intérimaire.

C’était en sortie d’usine qu’elle avait rencontré Assia. Elle l’avait motivée à rejoindre le Syndicat des Mal Employés. Il rassemblait les travailleurs qui faisaient un travail qu’ils n’aimaient pas ou plus. Ils militaient ensemble notamment pour une refonte intégrale de l’école publique. Qu’elle devienne havre de paix, de plaisir et de réalisation, à tout âge, de tout milieux. Faire advenir une éducation publique de très haute qualité. Elle était devenue la leader emblématique du mouvement.

Sa complicité amicale et intellectuelle avec Assia l’avait amenée à reprendre les études. Elle était allée loin en sociologie. Elle était arrivée à décrocher un doctorat. Sa place dans le syndicat, puis dans la Ligue des Vivants, avait rendu sa thèse célèbre dans le milieu militant. Elle se distinguait par un style très accessible, agrémenté de légères touches d’humour. Rien ne l’interdisait tant que tout était bien étayé scientifiquement. Mais disons que l’humour et la légèreté, ce n’était pas le ton habituel des ouvrages scientifiques. Son directeur de thèse avait fini par céder sous la détermination de Clara. Le sujet de sa thèse : comment transformer le monde et sa situation quand on est pauvre et impuissant ? L’espoir et les contradictions au cœur du syndicalisme.

Et une des contradictions était le dilemme entre le partage des richesses et l’écologie. Donner plus de pouvoirs et de richesses aux pauvres n’allait pas dans le sens de la préservation du monde. Préserver le monde était avant tout une question de symbiose entre conscience et puissance. Plus la conscience du vivant aurait de pouvoir politique, plus le monde irait mieux, longtemps. Clara, avait démontré cela dans sa thèse. Dans une époque où la limite de population humaine soutenable avait été atteinte. Où la rente des réserves en énergie fossile, en eau potable et en minerais fondait comme neige au soleil. Les études scientifiques montraient qu’il s’agissait de prélever et polluer beaucoup moins. De beaucoup mieux partager. Et atterrir sur une communauté humaine de 3 milliards d’individus, et cela en moins d’un siècle. Ce qui avait profondément bouleversé Clara, c’était qu’avec Elion Noor, cette réalité semblait trouver une porte de résolution heureuse.

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La Mise au Monde – Chapitre 3

-3-

Noah Pasteval était dans le train. Il regardait à travers la vitre, entre deux pensées, deux paragraphes, pour y saisir un bout de paysage. Il se sentait profondément bien. Il avait de la santé et du pouvoir. Deux notions qui s’entremêlaient et qui chez lui marchaient particulièrement de pair. Il avait créé une multinationale spécialisée dans le traitement intégral de la santé physique et mentale. Et elle se portait de mieux en mieux. Il se demandait si son plan allait fonctionner. Si la concurrence, revancharde et frustrée, n’allait pas encore lui mettre un de ces bâtons dans les roues. Mais au fond, était-ce déjà joué ? Avait-il fait l’essentiel ? Prendre sa place, s’entourer et continuer à croître sur un marché qu’il transformait. Son organisation participait à la révolution médicale. Elle arrivait en matière de santé à faire bien mieux avec toujours moins.

Il est vrai qu’Assia Abebayo l’avait beaucoup aidée avec son Syndicat des Mal Soignés. Il avait pu s’appuyer sur un nombre incroyable de déçus des systèmes de santé publique. Ensemble, ils dénonçaient les problèmes du service public et les vices de l’industrie des médicaments. Dans un monde où la médecine en était venue à trop oublier que dans tout corps, il y avait aussi un esprit. Un esprit fait de sensation qui avait, avant tout, besoin d’être rassuré, compris et soigné. De plus en plus de pays ont commencé à mieux réformer leurs politiques de santé. Ils ont appelé cela Assia et lui, le dispositif en tenaille. D’un côté, la pression des citoyens, de l’autre, la démonstration scientifique et économique. Il avait compris qu’il fallait bien ajuster la mâchoire, au bon endroit et au bon moment. Couper les mauvaises règles et en mettre de meilleures.

Il était le plus grand donateur de la Ligue des Vivants. Il versait des millions d’euros, tout ce dont le syndicat avait besoin. Une force citoyenne et politique émergeait. Elle dénonçait Big Pharma, les privilégiés et les capitalistes qui tiraient encore profit du crime. Noah était un entrepreneur humaniste et scientifique. Ça l’agaçait qu’on le traite de capitaliste. Pour lui, son capital, c’était un outil, un pouvoir utile et stratégique. Une force de changement pour un monde à vivre, pleine joie, pleine santé, pour tous les corps et toutes les cérébralités.

Avec l’investiture de Vesperin, il pouvait participer à un projet de loi. Cela lui permettrait d’expérimenter en France, une avancée majeure pour l’humanité. Une réforme complète du système de santé qui impliquerait aussi le système d’éducation. Car c’était pour Noah, à l’école, qu’il fallait préparer les esprits au bonheur et à la santé. C’était là qu’on pouvait aider les futurs adultes à prendre mieux soin d’eux et de leurs relations. En faisant bien cela, on réduisait les consultations, les accidents et les maladies. La science démontrait de jour en jour, et de mieux en mieux, toute l’étendue de ce phénomène.

Noah Pasteval abordait la santé physique, mentale et sociale comme un tout. Soigner efficacement la biologie, guérir l’esprit, améliorer la société, les trois en un. Il avait rendez-vous avec le Président Lucio Vesperin, c’était lui qui l’avait recontacté. Noah l’avait aidé sur la confection de son programme en matière de santé.

Le syndicat était passé par là avant les élections. Ils avaient manifesté et mené des campagnes de communication pendant plusieurs semaines. Il y avait même eu des grèves de la faim. Ils s’étaient rassemblés devant les hôpitaux, les centres médicaux et le Ministère de la Santé. Leur mot d’ordre : « Puissant ou impuissant, même traitement ». Demande n°1 : plus de files d’attente de plus d’une heure. Demande n°2 : avoir un diagnostic, sous 48 heures, peu importe la spécialité. Demande n°3 : avoir un début de traitement, sous une semaine. Sinon, ils menaçaient de bloquer la circulation, de faire la grève au travail et de ne pas payer leurs impôts. Ils l’avaient déjà fait par le passé et ils avaient obtenu une victoire historique. Une hausse de 15 % du budget d’Etat pour la Santé.

Noah avait mis au point un système pour traiter les consultations et les urgences de manière optimisée. Il coûtait significativement moins cher que le système actuel. Il ne restait plus qu’à l’adopter législativement. On allait remplacer 80 % de l’activité des médecins par de l’Intelligence Artificielle. Les médecins, qui étaient perdants, montaient au créneau et organisaient la réaction. À leurs côtés, l’industrie pharmaceutique l’était encore plus. Le projet allait faire fondre leur marché comme peau de chagrin et descendre à environ 20 % de ce qu’il était. Et ils n’allaient pas laisser faire ça si facilement, pensait Noah en s’y préparant.

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La Mise au Monde – Roman – Chapitre 2

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Assia Abebayo analysait dans un chaud détachement la situation. Que Vesperin l’ait emporté face à l’extrême droite, c’était une bonne chose. Elle connaissait sa manière de fonctionner. Elle savait qu’on pouvait l’amener à mieux décider. Et elle savait que ça se faisait en lui faisant gérer les problèmes que son organisation lui mettait sur la route. Dans son petit monde d’élites, il pouvait bien en parler à souhait et à satiété de la tyrannie. Mais jamais il ne pourrait la ressentir aussi vivement qu’une personne lésée et impuissante. Les souffrances perpétrées, ce n’étaient pas pour lui, c’était pour notre pomme, pensait-elle.

Assia était noire. De légères rondeurs ajoutaient du charme à un sourire chaleureux et à une attitude vive et décontractée. Fille d’immigrés africains, elle venait d’avoir trente-quatre ans. Son grand-père avait été tirailleur sénégalais. Son père était ouvrier dans la manutention des médicaments. Sa mère était infirmière à l’hôpital. Son enfance, elle l’avait vécue en banlieue dans la cité Henri Barbusse à Aubervilliers. Fillette aimée et pleine de joie, maline, aimante et attentionnée, cadette de trois frères et deux sœurs. Grâce à son arrivée tardive dans l’ordre des naissances, elle n’avait pas eu à trop s’inquiéter des besoins et des comportements de sa famille. Tous étaient plus grands qu’elle. Cela lui avait donné suffisamment de liberté pour pouvoir jouer, apprendre et explorer. Sa niaque et sa curiosité avaient fait d’elle une étudiante brillante et acharnée, capable de monter en classe pour mieux se hisser au-dessus d’elle. Elle avait pu intégrer après le BAC, l’Institut d’Études Politiques de Sciences Po à Paris. Dans sa promo, elle était la seule de son milieu, de son genre et de sa race à s’être invitée parmi les élites.

Assia avait rendez-vous avec une branche syndicale de la Ligue des Vivants. La confédération militante qu’Assia avait co-imaginée et cofondée, il y a sept bonnes années. Des dizaines de milliers de militants protégeaient leurs intérêts et défendaient l’avenir de la vie. Ils venaient de divers intérêts et horizons et s’alliaient pour faire la révolution. Ils s’activaient pour que tout ce qu’il y a de bon et de beau dans le monde puisse être toujours mieux partagé. Puisse être épargné de sa mise à mort sur l’hôtel de la démesure, du court-termisme et de l’accaparement.

Elle allait retrouver la coprésidence du syndicat qui représentait et défendait les inemployés. Elle avait été à l’initiative de sa création il y a cinq ans. Au début, cela avait paru plutôt contre-intuitif comme organisation. Mais les machines et les algorithmes prenaient le relais. Il fallait que ceux qui ne travaillaient pas ou plus puissent vivre en dignité et en sécurité. Elle s’amusa à penser qu’ensemble, ils restauraient une des meilleures fonctions humaines : s’amuser. Se réjouir de toute sa liberté et laisser les automates travailler. Elle se mit à sourire. Rendre la valeur de la Réjouissance sacrée et reléguer le travail et l’effort forcé dans le cimetière des valeurs passées.

Mais voilà, il y avait encore tout un tas d’accapareurs pour s’opposer à cette extension massive de privilèges : ne pas devoir travailler pour vivre. Il y avait une force qui s’organisait en réaction et en opposition au partage et à la dignité de tous. Qui s’accaparait de l’accès aux ressources avec l’argent que les ressources produisaient pour eux… Pour cela, une part d’entre eux, les entrepreneurs, mettaient en œuvre de la force de production. Cette force qui était de moins en moins humaine et qui devenait de plus en plus numérique.

Ce qui comptait pour les accapareurs, c’était la puissance et le profit. Ils se la jouaient comme ça à ne pas la jouer en commun. C’était leur éducation, leur style, leur marque de fabrique. Assia était déterminée. Elle voulait changer les règles du jeu économique et culturel. Un monde où tout le monde serait considéré et serait invité à prendre soin les uns des autres. Elle voulait d’une société qui pourrait bâtir en commun le meilleur des communs. Un jour, selon elle, l’amour vaincra. Un jour, chacun serait aimé et apprécié pour ce qu’il est, compris et soigné d’où qu’il vienne, encouragé et soutenu où qu’il voudrait aller, tant que cela ne fasse de mal à personne.

Elle se demandait au début comment ça pourrait bien fonctionner, cette organisation syndicale des inemployés. Mais elle avait vite été rassurée et impressionnée par le temps que les syndiqués pouvaient consacrer. C’était le syndicat avec le plus petit budget, mais il devenait une force politique majeure en Europe. 1550 membres actifs militaient collectivement, s’organisaient et commençaient à gagner socialement.

Elle sonna à la porte du local de l’Union des Non-Travailleurs. Veronica, la coprésidente en charge des partenariats, l’accueillit.

– Salut Assia, pas trop déprimée par la victoire de la royale démocratie de Vesperin ?

– Ben si. Mais je suis quand même soulagée que ce ne soit pas la nationale république à la Le Pen et sa clique qui l’ait emportée. Et tellement réjouie par votre action de mobilisation et de blocage de la semaine dernière ! Ouah, vous avez grave assuré, Big Tech, les GAFAM, TikTok et X commencent à trembler.

– Et à riposter, poursuivit Veronica. Éteins ton tel et mets-le dans la boîte à l’entrée. Viens dans le petit salon. Emmanuel et Agathe, les deux autres coprésidents, t’attendent avec du thé et des petits gâteaux.

– Ravie de vous retrouver tous les deux. Emmanuel, tu es en charge de la communication, et Agathe du recrutement et de la mobilisation, c’est toujours bien ça ?

– Oui, c’est bien ça, répondit Emmanuel. On est contents que tu sois là, Assia. On a un gros problème.

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Une histoire de famille – Nouvelle – Fin

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Depuis la rencontre d’il y a 3 ans, on a traversé bien des aventures Safae et moi. Et au fond ce qui nous a fait tenir, c’est deux choses : de la tendresse et de la déconstruction. Un fond de tendresse partagé qui vibre à la même fréquence et qui semble impérissable et une forte capacité de déconstruction psychique des normes sociales mal vivables. Quand on a ça, quand juste être avec cette personne nous fais nous sentir bien sans avoir à devoir agir, s’agiter ou se stimuler, on a là à jouir d’un bel amour. Et quand cette personne et nous même pouvons jouir de toute notre liberté affective, amoureuse et sexuelle sans subir de frustrations, d’attentes ou d’imaginaires négatifs, alors l’amour devient une douce aventure sincère, excitante et respectueuse. Notre relation nous aura entrainé dans une thérapie amoureuse continue qui reprogramme nos corps à aimer et à jouir et à ne plus accaparer ou subir. Nous avons appris à désillusionner l’amour de ce qu’il n’est pas (la peur de le perdre) et ainsi de pouvoir le vivre pleinement.

On a appris ensemble à s’aimer affectivement, sexuellement et amicalement. Et c’est dans cette amicalité que s’exerce toute la puissance de notre liberté et de notre amour. Nous sommes confidents, on peut tout se dire.

– Alors chérie, s’était bien ton weekend avec Paul et Vanessa ?

– Oui, c’était génial ! Et trop contente de te retrouver toi. Safae enlaça Fabien énergiquement et tendit ses lèvres dans une expression pleine de tendresse et de désir, de don de soi aussi.

– Hmm, c’est bon de te retrouver toi. Alors ce petit voyage à la mer en trouple, vous vous êtes fait kiffer ?

– Je dois dire que oui, avec Paul on a enfin trouvé l’alchimie triangulaire.

– Ah oui la fameuse quadrature du cercle dont tu parlais.

– Oui, un couple d’amoureux comme nous, c’est simple, des atomes, des expériences partagées et des sentiments crochus et hop ça fait un lien, une connexion qui a envie de se nourrir l’un de l’autre et qui en la nourrissant devient une propre créature1 avec son histoire, sa manière d’être à elle et d’être aux autres, un couple dans toute sa création.

– Oui je l’aime bien notre créature-couple, j’aime comment elle vibre et ce qu’elle dégage parmi les autres, ça serait dommage qu’on la tranche.

– Oui on n’est pas lien-d’amour-cidaires. On laissera juste la mort d’un de nous lui mettre une fin narrative à notre couple.

– C’est fou d’avoir une relation qui semble aussi inaliénable, c’est beau que ça puisse exister quand même.

– Carrément petit chéri, notre créature est de l’ordre du sublime et du quasi-impossible. On est des architectes amoureux des plus fous aha. En fait ce qu’on a essayé de faire avec Vanessa, toi et moi, ça marchait pas, j’étais encore trop exclusive par paresse amoureuse, j’avais envie de Vanessa et on avait pas fait le nécessaire pour que notre créature te drague.

– C’est bien résumé, je m’étais senti exclu de l’énergie de votre nouvelle relation. Mais là avec Paul c’est quasiment un jeu à 6. Votre triangle amoureux est complet : Vanessa est attirée par Paul et par toi et Paul et toi vous vous attirez aussi. Et les 3 créatures-liens s’entendent bien aussi, s’enlacent de manière à ce que l’édifice se consolide. Ça parait du bel ouvrage, un beau tétraèdre aha.

– Oui c’est carrément ça ! Bon après vu la complexité d’un jeu à 6 par rapport à un jeu à 2, ça aura peut-être juste la durabilité d’un château de carte. Mais pourquoi pas rajouté un angle à l’édifice, et si on tentait une pyramide petit chéri ?

– Bin oui de toute façon on peut tout tenter, notre relation elle est solide. Et puis on sait au fond que l’absence de l’autre n’est pas une objection pour nos corps de jouir de vivre.

– Oui chéri, je n’ai pas fondamentalement besoin de toi et je t’aime.

– Moi aussi je n’ai pas besoin fondamentalement de toi et je t’aime très fort chérie.

– Et les enfants que nous élèverons, eux, ils auront besoin de nous.

Fin

  1. Inspiré du magnifique podcast « Le cœur sur la table » ↩︎

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