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Noah fut accueilli à L’Elysée par un agent administratif qui le guida jusqu’au bureau du Président.
Il y avait autour de la table 4 personnes. Assia Abebayo qu’il connaissait et qui discutait amicalement avec deux autres personnes. Une femme qui portait sur elles des cernes et une attitude nerveuse et fatiguée. C’était Stéphanie Martela, la présidente du syndicat des Mal Soignés. Et avec, à sa droite, un jeune homme, quasi un ado. Jules Gomez, le président de la branche de ce même syndicat qui représentait et défendait les anciens enfants maltraités. En face d’eux, il y avait Monique Sivili, la présidente du syndicat des médecins. Il l’avait vu sur les plateaux télévisés. Elle n’allait pas être une alliée.
Au moment où Noah s’asseyait, Lucio entrait prestement dans le bureau.
– Bonjour à tous. Pas la peine de vous lever. Merci de vous être déplacés. On a un sujet important à traiter. L’objectif est de penser ensemble la transformation du système de santé public. On a une heure pour cela.
Noah se serait cru accueilli par un de ces profs durs et rigoureux qui vous imposait un de ces devoirs surveillés surprises. Noah décida de se prendre au jeu. Et en parcourant d’un regard, tout le monde autour de la table, sauf Monique Sivili, y semblait disposé.
Lucio Vesperin poursuivit.
– Nous sommes ici pour améliorer significativement notre système de santé. En faire un commun accessible, bienveillant, efficace. Un service public qui respecte ceux qui y travaillent, comme ceux qui y guérissent ou y meurent. Un modèle pour le monde, un bien commun pour l’humanité.
Assia était surprise par la capacité de cet individu à prononcer des phrases aussi immenses, tellement plus hautes que lui. Elle s’imaginait d’autres les prononcer et s’en parer de ridicule. Mais chez lui, il enfilait un peu ça comme une chemise, prêt pour la responsabilité, ou comme un uniforme, prêt pour le combat. Il était en fait plutôt crédible dans son rôle et son ambition démesurée, dans son Don Quichotte de la néo-modernité. Assia était contente d’avoir affaire à un optimiste. Le pire, en négociation, c’est d’avoir à faire à des frileux, qui pensent comment se protéger plutôt que comment avancer.
– Sur le papier, c’est bien, s’enquit Monique Sivili. Mais vous pensez que vous allez sauver la situation avec les pratiques de M. Pasteval ? Il vend du rêve néolibéral comme solution à un problème social. A vrai dire, je trouve ça imprudent et irrespectueux de vous fier qu’à lui. N’y a-t-il pas un conflit d’intérêt à ne traiter qu’avec lui comme partenaire économique pour mener votre réforme ?
– Madame Sivili, ce que je vous garantis, c’est que M. Pasteval n’a pas fait d’exception au regard des règles en matière de marché public. Sa plateforme est certifiée, open-source et protégée. Elle est hébergée dans un Groupement d’Intérêt Public sous contrôle de la CNIL et de l’Agence du Numérique en Santé. Il perçoit une micro-commission pour chaque ordonnance validée. Cette commission sera recalculée chaque année, pour couvrir uniquement les frais de service et d’amélioration du dispositif. Ni pub, ni revente d’aucune données. Nous ne parlons pas ici de libéralisation sauvage, mais d’une expérimentation publique contrôlée. Et croyez bien que si un conflit d’intérêt devait surgir, ce dispositif serait immédiatement suspendu. Monsieur Pasteval représente une force de progression brillante et opérante en matière de santé. Cela ne veut pas dire que je suis inféodé à sa logique et à ses intérêts. Mon rôle sera de faire des propositions jusqu’à ce qu’une convienne à tout le monde autour de la table ici. Est-ce que cela vous convient ?
– Oui, allons-y, répondit Monique Sivili hésitante. Mais je ne vous garantis rien, j’espère juste que cela ne soit pas une mascarade.
– proposition d’entente n°1 : tous ici reconnaissons que le système de santé actuel est perfectible. Et que ces trois piliers sont en crise : patients, soignants, soutenabilité budgétaire. Lucio balaya les visages pour sonder les réactions. Tous en convenaient.
– Attendez, avant d’aller plus loin, dit cependant Stéphanie Martela. Je vois bien que ça va pas pour les patients et les soignants. Mais qu’est-ce que vous entendez par soutenabilité budgétaire ? Vous savez moi je suis assistante maternelle et toute ses choses tout au-dessus, ça m’échappe pas mal.
– Disons que le système de santé actuel coûte beaucoup d’argent, il coûte 287 milliards d’euros par an. Avec les mouvements et les grèves d’il y a deux ans, vous avez négocié 15 % d’augmentation du budget. La France est devenue le pays d’Europe qui consacre le plus d’argent à la Santé. Ce qui est préoccupant, c’est que pour cela, le pays s’endette.
L’endettement, en soi, n’est pas un mal. Il permet d’investir dans des choses utiles, comme les hôpitaux, l’école ou les transports. Mais cela devient un problème quand ce que l’on dépense chaque année dépasse durablement ce que l’on gagne. C’est comme une famille qui vit avec une carte de crédit en espérant que tout ira mieux demain.
Et cela est dangereux, parce qu’un pays endetté devient dépendant. Il doit emprunter sur les marchés financiers. Et ces marchés imposent leurs conditions : taux d’intérêt plus hauts, perte de confiance. Et au final, moins de marge de manœuvre pour aider les plus fragiles ou répondre à une crise. La soutenabilité budgétaire, c’est ça : s’assurer que ce qu’on dépense reste supportable sans creuser un trou qu’on transmettra à nos enfants.
Nous voulons réformer la santé. Pas pour la brader. Mais pour la rendre plus intelligente, plus respectueuse, plus juste. Et moins lourde à porter pour le pays. Si on continue comme aujourd’hui, sans rien changer, ce n’est pas la santé qu’on protège : c’est un château de cartes. Pour que le système ne s’écroule pas sous le poids de l’argent qu’on a pas et qui dépend des autres, il nous faut une réforme. Est-ce que c’est plus clair ?
– Oui, je comprends, merci.
– Je laisse maintenant le soin à Monsieur Pasteval de présenter son dispositif. Soyez clair et bref. Rien de trop, rien d’omis.
Noah dégluti sous la pression contrainte par le Président. Heureusement, il était bien préparé.
– Voyez, aujourd’hui quand une personne ne va pas bien, elle doit attendre des semaines, parfois des mois, pour voir un médecin. Elle ne sait pas toujours à qui parler, ni par où commencer. Et souvent, elle ressort avec un médicament, mais pas une vraie solution.
Moi, ce que je propose, c’est de créer un système de soin intelligent, juste, simple, et humain. Comme un GPS pour la santé. On ne remplace pas les gens, on les aide à mieux se soigner.
Concrètement, comme ça va se passer :
La personne parle à une IA, une sorte de conseillère en santé toujours disponible, jour et nuit. Elle raconte ce qu’elle ressent, ses douleurs, ses angoisses, sa fatigue, ses problèmes de famille ou de travail. Tout ce qui peut jouer sur sa santé.
L’IA l’écoute et elle lui propose un plan de soin adapté. Ça peut être un rendez-vous médical, de la kiné, du sport, un soutien psychologique, des conseils alimentaires…
La personne peut poser des questions, dire ce qu’elle préfère, ou ce qu’elle ne comprend pas. Elle reste actrice. Une fois qu’ils sont d’accord, l’IA prépare une d’ordonnance, avec toutes les étapes pour aller mieux, en prenant en compte les dernières recherches scientifiques. Si c’est un problème grave ou compliqué, un médecin humain prend le relais pour superviser. On garde le lien avec de vrais soignants.
Ensuite, tout s’organise automatiquement : les rendez-vous, les transports, les livraisons, les rappels. C’est fluide, comme un planning bien fait pour ne rien oublier. Et au fil du temps, la personne apprend à mieux se connaître, à prévenir les rechutes, à agir dès qu’un souci arrive. Elle devient moins dépendante, plus libre, plus forte.
Cela a été conçu pour satisfaire le plus possible vos revendications. Ce que je propose, c’est un système de soin qui aide chacun à devenir un peu son propre médecin et d’avoir le soin le plus adapté et le plus efficace au plus tôt. Et tout cela sans ruiner l’État, parce que le système se finance en prenant juste ce dont il a besoin, c’est à dire moins d’un euro par ordonnance délivrée. Bien moins cher et beaucoup plus rapide que ce que coûte un rendez-vous classique.
Monique Sivili était furieuse.
– Vous comptez remplacer des années d’études par des lignes de code ?
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