Une histoire de famille – Nouvelle – page 8

<- page 7

C’est marrant quand même comme notre cerveau est plus souvent un réalisateur de scénarios de films catastrophes ou d’épouvantes que de films réalistes et positifs quand il s’agit de confrontation. C’est d’ailleurs fascinant ça qu’on soit autant des machines à biaiser la réalité. On devrait se contenter de nous apprendre ça à l’école. À bien penser et à bien se confronter. En faisant pas de suppositions et en apprenant juste à devenir de bons metteurs en scène d’existences. Le matériau de base pour ça serait le réel capté avec de la science et de l’émerveillement. On apprendrait à faire ça toustes ensemble avec nos myriades de corps, de domestications et de points de vue ou de non vue, on apprendrait à se libérer pour mieux être et créer ensemble…

Fabien t’as encore du taf pour mieux maitriser ta pensée, t’es quand même très sujet aux divagations…

Tout ça pour me dire qu’un coming out, ça a bien plus souvent d’impact émotionnel pour soi que pour les autres. L’égocentrisme a peut-être ici son avantage. Une fois les gens rassurés qu’on ne va pas leur imposer ce qu’on fait pour soi, ils se font plutôt bien à l’idée que d’autres, même des proches peuvent vivre certains comportements en dehors de la norme. Enfin, ça, c’est si on n’a pas à faire à des psychopathes-dogmatiques avec du pouvoir. Ça peut être dangereux le « Nous » quand même, quand on y pense. Le « Nous » dirigé par un tyran, ça vous impose son « Je ».

Quoi qu’il en soit, la perte ou le conflit sont trop couteux, et la plupart des humains choisissent plus aisément le plaisir et la paix. Mes parents ont finalement fini par comprendre et à ne pas nous rejeter Safae et moi.

Mais maintenant, c’est à moi de me sentir rejeté. Et ça, parce que Safae veut étendre son «nous», mais cette fois-ci sans moi…

– Ecoute Fabien, je suis fait de liberté et tu sais à quel point je ne me retrouve pas dans les attentes qui enferment. C’est pour ça que je te propose un cadre libérant, mais c’est pas pour détruire ce que l’on a construit, c’est pour pas qu’on s’enferme dedans comme dans une prison.

– Tu es tombée amoureuse de Vanessa et je me sens écarté, c’est ça que je suis en train de vivre là. Je comprends ta vision mais c’est éprouvant pour moi. Il y a une asymétrie d’intérêts pour ton cadre libérant. Toi, tu as un accès plus facile pour partager de l’amour, moi, actuellement je n’ai que toi à aimer d’autre que moi.

– Et ça ne te suffit pas ?

– Bin si, justement ça me suffit.

– Et bin alors, où est le problème ? Je te fais confiance petit chéri pour être autonome dans ton amour. Tu as le droit d’en faire ce que tu veux comme j’ai le droit d’en faire ce que je veux.

– Oui je sais que tu as raison, mais là en l’état du moment, tu y gagnes avec ton cadre et moi j’y perds.

– Je comprends que ça soit éprouvant, tu perds de l’attention, mais de l’attention contrainte, ça marche jamais, ça va m’abimer. Tu veux que je m’abime ?

– Non, je ne veux pas que tu t’abimes bien sûr petit coeur, c’est moi qui m’abîme dans une forme de victimité abusive là. Mais je vais arriver à surmonter ça.

– Mais oui, tu vas rejouer les amants funs et festoyants et tu vas kiffer, je ne m’en fais pas pour toi. Et on s’aidera mutuellement. J’aime ta biologie, ton esprit et ta liberté tout aussi fort qu’hier tu sais. Il est solide et profond notre amour, j’ai juste besoin de relations infinies et de nouveauté créatrice. Cette liberté qui s’ouvre à l’intimité partagée partout, tout le temps et qui nourrit l’amour, qui l’étend, l’alonge et l’agrandi. J’ai envie de nourrir mes amours. Tu en est un et ce n’est pas en m’enfermant avec toi qu’il sera plus grand, il sera plus aigri de ne pas être libre, il moisira. Alors que l’ouvrir sans limite le nourrira et là-dedans je ferais tout pour qu’il nourrisse le tien aussi, le nôtre aussi. D’ailleurs tu as quoi de prévu vendredi ? On pourrait aller faire la fête tous les trois avec Vanessa ?

page 9 ->

Une histoire de famille – Nouvelle – page 7

<- page 6

Cela fait un an qu’on est ensemble avec Safae. Le processus d’encouplement a bien pris : les fantasmes et les illusions sont tombés et la réalité bien réconfortante, structurante et parfois stimulante du Nous a pris quasiment toute la place dans nos systèmes de récompenses cérébraux.

En fait, il y a vraiment quelque chose, à force de communion et de communication, d’une cotransformation psychique qui produit de la sororité et de la fraternité d’âme entre nous, de l’adelphité, comme elle dit. On sait s’aimer, on sait s’influencer sans se perdre l’un, l’autre. C’est beau. Mais voilà, il y a un nouveau rebondissement dans cette aventure romantico-amoureuse…

Safae, dont la transformation physique est tellement impeccable, ne m’a jamais amené à me confronter à l’hétéronormativité des proches voire à l’hétérofascisme des autres. Mais ce matin, Safae m’a annoncé sa volonté de se retransformer.

– Pourquoi tu souhaites faire ça chérie ?

– J’en ai envie, tu sais je t’en parlais pas mal ces derniers temps.

– Tu ne m’as pas parler de te faire opérer pour ressembler de nouveau plus à un homme.

– Non, mais je t’ai parlé que je me sentais pas 100 % femme intérieurement, que je me sentais mieux depuis que mon psychisme recomposait avec un peu plus de masculinité. Je me sens plus 80 % femme et 20 % homme en fait.

– Oui comme moi quand je te disais que je me sens 70 % homme et 30 % femme, mais je ne ressens pas le besoin de conformer mon corps à mon intériorité.

– Encore une fois mon petit chéri d’amour, tu as tort, mais je t’aime fort tout autant. Safae fit un tendre bisou sur la joue de Fabien pour ponctuer son message.

– Ahah, oui sans doute, tu sais bien que j’ai tendance à penser d’abord, à vivre ensuite. En fait, je crois que je conforme ma pensée à un système d’oppression pour ne pas avoir à l’affronter. Tu sais Safae, j’ai grandi dans une famille plus fasciste qu’aimante et j’ai peur de me faire rejeter ou maltraiter.

– Oui, petit chéri, tu as intériorisé la sanction des tyrans. J’ai déjà traversé ça, je suis heureux de te faire vivre l’expérience imminemment émancipatrice du coming out. Et tu sais, si je fais ça c’est aussi pour participer de la révolution écoamoureuse. Moi aussi, je me suis réfugié en quelque sorte dans une forme de sécurité binaire en épousant le camp de la normalité : ne pas montrer qu’il y a de l’homme en moi. Mais au fond, j’ai besoin d’être le changement que je suis dans le monde, je suis par-delà les normes sociales, je suis libre d’être complexe et je n’ai pas à baisser la tête devant l’intolérance en manque de tendresse ou face au fascisme en manque d’amour. Ce manque d’amour qui nous détruit, nous et la vie.

page 8 ->

Une histoire de famille – Nouvelle – page 6

<- page 5

« Il était une fois une petite princesse qui grandit dans un royaume. Sur ce territoire les familles s’organisaient autour d’une injonction sacrée : « Soyez Fort ». Tout le monde avait appris à la respecter et à l’adorer. Cependant, une maladie contaminait la grande majorité des papas du royaume. Ils étaient atteints d’un mal redoutable transmis de père en fils. Ce mal avait une influence terrible dans tous le royaume.

La petite princesse faisait partie de ces enfants que l’on avait estampiller « futur homme » à la naissance. Comme tous les « futurs hommes », elle due grandir dans la répression de sa sensibilité. On lui rappelait toujours à la moindre larme, à la moindre expression de joie affective qui dépassait les normes qu’il fallait être fort et réprimer sa douceur et sa sensualité. Elle devait refreiner des choses qui ne pouvaient que difficilement se dissimuler : l’intonation de sa voix, la grâce de sa démarche.

Cette princesse due faire face à la violence, qui était valorisée comme la forme d’expression normale de la Force. Il y avait les brimades des copains et l’incompréhension impulsive d’un père qui ne comprenait pas pourquoi cette princesse avait un corps de garçon ou plutôt que ce corps de garçon hébergeait la sensibilité d’une princesse.

La maman de la princesse qui aimait sa fille plus que tout, fit tout son possible pour faire face à ce mal. Elle s’enfouie avec les 3 enfants et la famille décomposée fut recueillie dans des logements que l’on trouvait dans les bas-fonds des villes riches. Ces habitations s’étaient les résistants de la Douceur qui les avaient arrachées au pouvoir impitoyable de la Force en contrepartie de l’exploitation de leur main d’œuvre quand le royaume en avait jadis besoin.

Dans ces bas-fonds, on retrouvait cette mauvaise expression de la Force, la violence était encore là, mais le foyer était préservé, ce fut comme un petit miracle, un avant-gout d’une odyssée vers la reconquête de toute sa royauté dans les terres de Douceur. Elle quitta le foyer et s’entoura des opprimées qui comme elles, avaient eu la même enfance. Elles s’entrainèrent ensemble et se sculptèrent un corps qui pouvaient exhaler la plus exquise des sensualités. Elle eut aussi dans cette aventure recourt à une mage qui lui donna les attributs de sa féminité qu’elle pût explorer de plus en plus. Une partie de ce qu’elle apprit sur ce chemin, elle le mit dans un autre pouvoir qu’elle développa au cours de nombreux voyages : la musique. La musique qui est pour elle une œuvre de sensualité et d’harmonie face à la dysharmonie d’un monde écrasé par les ondes de choc de la force mutée en violence.

La personne que tu as en face de toi, c’est en partie cette mutation pour aller plus loin du côté sensuel et doux de la force. Cette petite reine qui n’a pas besoin d’un prince mais qui aime partager sa sensualité, sa douceur, sa joie de vivre avec toi. Cette même reine qui t’invite à te dévêtir de ta force mutée en mépris et de t’éprendre en douceur, d’un être qui ne sera jamais là pour te nuire, lui. »

Page 7 ->

Une histoire de famille – Nouvelle – page 5

<- page 4

Que Safae ait été biologiquement un homme, que cela change-t-il ?

C’est vrai que je m’y attendais pas, sa transformation est impressionnante.

Le fait que cela te perturbe, que cela veut-il dire de toi Fabien ?

Que mon homophobie n’est pas encore totalement déconstruite. Tiens en pensant ça, ça me fait penser à mes parents, ils sont pas prêts ahah. Bah, la vie heureuse est une affirmation contre le désamour et les préjugés, tu sais faire avec ça Fabien. Safae t’apporte le plus haut kif que tu n’aies jamais vécu à deux et tu t’écarterais de ça comme une catho détournerait méprisamment la tête de Jésus en ne voyant que ses longs cheveux de beatnik ? Tu es plus fort que ça Fabien.

Pourtant…

C’est fou comme l’identité, c’est profond, inconsciemment je sens bien que ça change la donne (ou que ça donne le change ?). J’avais une reine de cœur, je l’embrasse, la kiffe, me recule et j’ai là une reine de pique. Cette reine de pique elle est toujours aussi incroyable, aussi prometteuse en moments surréalistes de kifs et d’amour et pourtant le pique me fait peur et la peur, ça dissipe l’amour.

– Coucou Faby, ça va petit chéri

– Oui, tu veux un petit chocolat chaud ?

– ah toi tu as envie de parler intime, volontiers petit cœur.

– C’est ouf la relation qu’on s’est créés tous les deux quand même, j’adore, dit Fabien en se levant pour préparer les chocolats chauds. Puis sur le chemin, il s’arrêta, tourna la tête, attendit que Safae la regarde dans les yeux et repris : j’ai juste besoin qu’on aborde ta transidentité, on en a jamais parlé, et j’ai besoin de ça.

– Je me doutais bien qu’on allait devoir casser un peu la magie chéri : ouvrir le capot et essayer de recâbler ton moteur amoureux et libidineux pour qu’il vrombisse de nouveau comme avant. C’est ça de commencer une relation avec une personne pas encore bien déconstruite, petit chou, mais t’inquiète ça va bien se passer.

Safae embrasse joyeusement la joue de Fabien ramenant le mug de chocolat chaud. Merci petit chéri !

Bon il est où le bouton de l’amour là-dedans, poursuit-elle en levant son t-shirt. Ah peut-être là. Safae fit un baiser tendre sur le nombril de Fabien qui ne pu s’empêcher d’échapper un petit rire.

– T’es vraiment une petite reine pour mettre à l’aise toi.

– Alors dis-moi qu’est ce que tu veux savoir sur ma transidentité petit coeur.

– Bin, j’ai besoin que tu me racontes cette petite histoire-là, tu sais… j’aime pas trop les zones d’ombres.

– Ahah, tu as encore peur du grand méchant loup toi. Aller va, bois tranquillement ton petit chocolat chaud et laisse-toi embarquer par ma petite histoire.

page 6 ->

Une histoire de famille – Nouvelle – page 4

<- page 3

C’est arrivé.

Safae faisait la première partie d’un petit concert électro. Elle nous a rejoint pour la dernière partie. Quelle party. On a dansé parmi nos amis pleins sourires, plein kiffe. On s’est tous les deux connectés par les mains. On a laissé faire la magie. Elle était là ce soir.

On en a savouré chaque particule. Chaque ondée de présence profonde abandonnée à l’autre, on partageait ça, on le dégustait tous les deux à tendres et douces goulées d’amour et de sensualité. Une tendresse osmo’zique. Une nuée légère de sensations fines et explosives pour nos articulations, nos tendons, nos os, nos moelles qui résonnaient aux frottements voluptueux de nos peaux sur nos bras, nos cous, nos joues. Au son plongeant et ondulant des vibrations sonores structurellement déstructurantes. La DJ produisait son terrain de rencontre cosmique pour nos âmes et nos corps en transpi. Une barbe à papa pour nos synapses. Un feu de dieu pour nos plexus. Une érection pour nos sexes. En bas, un désir fou de se prendre, en haut, une mûre conscience de se livrer tous les deux notre plus haut respect, notre plus haute conscience de soi en l’autre. On se plongeait l’un dans l’autre au-delà de l’infini, dans le fini de nos vies, dans la matière brute de nos carcasses et de nos caractères enlacés, délassés. Allant et venant. Jouant frôlant. Brulant délaissant. Fusant attisant. On s’est joui existentiellement l’un-l’autre autour des autres.

C’était beau.

page 5 ->

Une histoire de famille – Nouvelle – page 3

<- page 2

Quelle galère les histoires d’amour quand même. Pourquoi faut-il qu’on trimbale toujours un vide avec nous ? une personne arrive avec toutes ses beautés et voilà l’esprit qui s’engouffre dans le vortex du désir amoureux. Je pensais m’en être extrait de ce manque, ou de l’avoir comblé, ou plutôt de l’avoir tari à force de lucidité. Mais non, il patientait là, il souffrait en silence, il avait appris à se faire discret pour mieux m’ébranler au passage d’une divinité pour mon système sympathique. En quoi la beauté vient-elle se mélanger avec la reproduction ?

C’est quand même marrant ce phénomène quand on y pense. Mon système sexuel me donne l’envie de me reproduire et ça pourrait suffire, on pourrait s’accoupler dans tous les sens avec n’importe qui, ça serait plus simple, j’aurais alors toutes mes chances avec Safae. Mais non, la beauté vient y faire son cinéma, il faut que notre intellectualité amplifie le petit tourbillon de la pulsion sexuelle en un ouragan de sentiments qui emporte tout sur son passage. Et l’intellectualité est du genre select. Je dirais que le sens du beau, l’emporte sur le sens de la baise. Non, en fait, le bon et le beau c’est la même chose : le bon c’est le beau pour le corps et le beau, c’est le bon pour l’esprit. Tout est bon dans le cochon. Tout est beau dans l’oiseau. Les tabous sociaux, c’est fou comme ça rend tout compliqué. Et moi, pourquoi ça me semble si compliqué la tournure que prend les choses avec Safae ? Suis-je un juste espérant impatient ou juste un niais optimiste…

– En fait, tu veux que je te dise Faby, le jeu des relations amoureuses, il se fait comme le Monopoly. On se lance pour un tour avec l’espoir de tomber sur la rue de la Paix, mais celui qui a la rue de la Paix c’est celui qui a déjà les Champs Elysées, Montparnasse et Matignon. Il y a des personnes qui monopolise les attractions. Sans attractions, pas de relation.

– Ahah carrément, et si t’as pas eu la rue de la Paix en premier, c’est toi qui raque à chaque passage. Je suis d’accord avec toi Safy et en vrai, tu veux que je te dise, ce jeu-là, il est en fait encore plus mal foutu que le jeu du Monopoly. En fait, il faudrait imaginer un plateau en trois dimensions, chaque plateau se dupliquant à l’infini sur la verticalité. Chaque joueur et joueuse part de l’étage le plus haut et s’aperçoit qu’il peut pas acheter, tout est trop cher. Plus il descend les étages et moins les locaux sont idéaux et pourtant ceux là aussi sont acquis par ceux qui ont des parts dans les plateaux du haut et parfois, surprise, par ceux qui en ont dans les plateaux du bas.

– Ou un plateau de côté, lorsqu’on désire une personne qui n’est pas attirée par ton genre.

– Ahah oui, tout à fait.

– En fait, dans ce jeu, tout le monde se loupe si souvent et tourne bêtement autour d’un sommet inatteignable qu’on nous a vendu avec de la pub et que tout le monde espère. Un océan de loupés autour d’une flaque de gagnants qui eux aussi peuvent se perdre.

– Oui et où plus il y a d’hormones et plus ça lance les dés de manières compulsives.

– C’est ça ! Monopoly partout à tous les niveaux, à tous les étages ! Ascension sociale et ascension sexuelle, même combat ! L’imaginaire brouille tout et ça rend impuissant.

– Ahah, Waouh, là on est parti loin niveau méta réflexion, j’adore ! Je te l’avoue Safae, j’ai jamais eu un tel niveau de complicité sexuelle, euh intellectuelle pardon avec quelqu’un.

– Ton imaginaire est en train de tout brouiller là, ahah.

– Tu penses qu’on est sur le même plateau tous les deux ?

– Ahah possible, en tout cas on peut déjà dire qu’on a déjà eu de la chance au Monopoly de l’amitié. Je dois filer, j’ai un date.

page 4 ->

Une histoire de famille – Nouvelle – page 2

<- page 1

7h passée en compagnie de Safae et je suis toujours aussi captivé. Captivé, tiens d’ailleurs ce mot il est marrant, est-ce que je ne suis pas en train de me rendre captif ? C’est fou comme on peut se faire des films, mais bon là, y a matière je pense. C’est la première fois que je tombe (amoureux) sur une femme qui ne souffre d’aucun besoin de sécurité affective. Qui voit les choses de l’amour avec une telle lucidité, un tel pragmatisme. Alors que d’habitude, quand on parle de l’amour, on nous sert une sacrée tisane de fausses bondieuseries ou de moralines de blanche neige pour se donner une bonne conscience sexuelle. En tout cas, j’adore nos échanges intellectuels, celui d’hier était mémorable. Et il ouvre une porte à un rapprochement, enfin je crois.

– Je discutais l’autre jour avec mon ex, Nadia, l’avocate qui nous a donné un coup de main sur la bataille contre le mal-chauffage d’un quartier dont je t’avais parlé. On n’était pas d’accord sur un truc. Est-ce que pour toi, l’amour, et je ne parle ni d’amitié, ni de parentalité, c’est plus qu’une histoire d’attirance sexuelle ?

– Ouf, j’ai vraiment cru que tu allais me perdre avec des questions de droit ahah. Bonne question, et comme je te l’ai déjà dit, j’aime le concret, par exemple là est-ce que je t’attire sexuellement ?

– Euh…bin… En fait, là en disant ça tu m’intimides.

– C’est exactement ça, lorsqu’on verbalise l’attirance sexuelle, on enlève tout l’agrément : le mystère et la tendresse autour de l’affaire. Quand tu dis à ton ex qu’il y avait que du désir sexuel dans votre histoire, ça écorne la romance. C’était toi qui avais ce point de vue non ?

– Ouais, c’était moi. Je comprends bien où tu veux en venir, ta démonstration est édifiante.

– Enfin j’espère qu’elle ne t’a pas coupé toute ta chique, ça serait dommage d’enlever cette douce tension entre nous, c’est quand même plus sympa quand elle est là, ça donne plus de saveur à notre relation.

– C’est sûr, je suis d’accord, l’idéal romantique c’est peut-être une relation amicale sous haute tension sexuelle.

– Oui je crois que c’est ça, on a besoin de fantasmer pour vibrer. Quand on se fait plus de film avec la réalité, c’est que la romance est terminée. Et là, peut-être l’amour prendra la relève pour faire durer la relation. Tu veux que je te dise, l’amour c’est une histoire de câlins, la romance une histoire de baise.

– Ça doit être pour ça qu’on me dit si souvent que je suis un grand romantique.

– Ahah, tu dis ça mais au fond ça se sent que t’aime les câlins. C’est pas ce qui m’excite le plus, mais y a des personnes qui ont besoin de ça.

– Tout le monde a besoin de ça non ?

– Non, moi je n’en ai pas besoin. C’est que t’as dû en manquer petit, c’est tout. C’est pas bien grave. En fait, je vais te dire, ce soin, je me le procure toute seule. Sinon après, si j’ai besoin de ça, y aura toujours une personne qui aura le pouvoir indirect de me faire souffrir et je donne ça à personne. C’est pas l’amour qui fait mal, c’est le manque d’amour pour soi qui le fait.

– A la manière dont tu dis ça, ça laisse à penser que tu en as souffert.

– On en souffre toustes mais croît moi, ne va pas chercher ça ailleurs que dans ton propre coeur.

– Du coup, tu fais jamais de câlins ?

– Si bien sûr, mais c’est des câlins de bonus, pas de manque. Aller vient dans mes bras, viens prendre ton petit shot d’ocytocines.

page 3 ->

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑