Un point de vie comme un autre – Nouvelle – Page 2

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Je suis depuis longtemps, je veux ce que je suis et je ne suis pas encore ce que je veux. Je suis dans tout ce qui croit. Je suis la flamme, je suis la force, je suis l’activité qui crée la suractivité qui engendre toutes les micro activités. Je suis l’élan qui fend les forces contraires, je suis le pénétrant, le bouillonnant, le fortifiant, l’inouïssant, l’infinissant, le sublime qui se déploie jusqu’à l’explosion implosive qui avale à grande goulée cosmique tout ce qui peut être remodelé dans l’infini des espaces, des puissances et des dimensions. Je suis le créant brut, l’engendreur, le désir atomique et biologique, l’embarcadère narratif, l’apogée et le néant, le sublime dramatique, le drastique créatif, la folie vierge et exploratrice, la vigueur impulsive et créative.

Je suis un moteur vibrant de tous les inouïs. Vivre, c’est se vouloir fort, grand, Autre jusqu’à l’infini, jusqu’à l’Autre-delà. Vivre c’est une exubération de forces, de vibrations, de sentiments, de rencontres, de pensées qui s’entrecroisent, s’interpellent dans des frissons d’émotions constructives et destructives.

Cette flamme se perd. Je suis là, jusque dans leurs rêves, jusque dans leurs tremblements, leurs boutons, leurs fièvres. Je suis là, je tape à la porte de chacune de leurs cellules mais quelques choses les enferment, les font agir droit, les font agir petit, les font désagir jusqu’à la maladie. Ils souffrent de ne pas souffrir leur propre force, leur propre cap. Ils oublient la puissance créatrice qui les engendre, la libre pensée, la sauvage oisiveté, la nue tentative. Ils se rapetissent et amplifient tout sans rien se produire. Je crois qu’ils nomment ça, soumission irrationnelle ou aliénation, enfin un de ces trucs qui rend malade.

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Une élite à la marge – Nouvelle – Fin

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– Alors comment s’est passée cette négociation ? J’ai eu Françoise au téléphone, elle n’en revenait pas, vous allez vraiment faire tout ce sur quoi vous vous êtes engagés ? Questionna chaleureusement Salima en accueillant Philippe dans son cabinet.

– Cela n’a pas été simple, mais oui, nous entamons une véritable révolution écologique chez Agrinov. Une vraie négociation gagnant gagnant. Les leaders de l’association ont été impeccables, la répétition préalable avec moi qui jouait le rôle d’André a été une vraie réussite. Mon beau-père est tout à fait convaincu, comme moi, que ma solution était celle qui permettrait de nous en sortir face à la menace que les leaders du collectif ont su bien amener. Le fait qu’il n’y ai que des indemnités aux familles en échange d’un partenariat avec le collectif pour le développement d’une néoagriculture bioconventionnelle a été déterminant pour le convaincre. Du grand art. Conclu Philippe d’un air enjoué et satisfait. Mais comment avez-vous pu trouver ces familles avant que l’affaire soit rendue médiatique ?

– Je ne vais pas vous révéler tous mes secrets Philippe. Parfois il suffit d’une bonne recherche sur internet pour tomber sur les bonnes personnes.

– Incroyable, vous êtes extraordinaire.

– Oui on me le dit souvent s’amusa Salima. En ne s’empêchant de penser à quel point s’était facile pour elle d’amener les gens à agir dans le sens qu’elle désirait. Même si cela devait coûter la vie d’une femme et de deux enfants. Le dispositif de vérin électrique fixé sur le bras de direction du break familial afin de provoquer une légère embardée au bon moment avait bien fonctionné, impossible de retrouver cette pièce de sabotage dans tout ce fracas.

– Vous savez qu’en me facturant 150 euros l’heure, vous faites du social. Plaisanta Philippe.

– Haha, vous n’avez pas idée. Heureuse de ce bon dénouement en tout cas. Et sur le plan personnel, quand vous êtes seul, comment vous sentez-vous ?

Salima profitait de ce moment de grâce, son plan avait fonctionné à la perfection. Salima M’Barek n’était pas sa véritable identité. Elle était la sœur d’un des agriculteurs marocains du collectif, elle l’avait vu périr lentement et douloureusement avec son père. Le silence froid et pesant de l’injustice d’un système d’agriculture où les dirigeants du monde de la chimie nuisaient aux gens, à la planète, à la vie, avait enfin pu être levé. Et cela avait eu lieu dans cet espace de négociation. La révolution écologique vaut bien une messe, pensa-t-elle.

Fin

Une élite à la marge – Nouvelle – page 8

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– Bonjour Philippe, heureux de vous revoir de si bonne heure au travail. Est-ce que vous m’offrez un café ? Demanda paisiblement André, le beau-père de Philippe sur le seuil de la porte de son bureau.

– Oui bien sûr André, entrez. Vous savez si j’arrive de nouveau à la première heure au travail, c’est en partie parce que je remonte la pente et c’est aussi parce que l’entreprise est sur le point de rencontrer des perturbations majeures auxquelles nous allons devoir faire face.

– Des perturbations majeures ?

– Un collectif de familles de clients qui ont perdu un membre de leur famille suite à des cancers sont en train de monter une forte affaire juridique et médiatique contre nous. J’ai rencontré une de leur leader hier, Françoise. Il y a plus de cent familles de concernées, il y a un rapport qui a été réalisé, très solide je dois avouer, tenez j’ai fait un tirage pour vous. J’ai demandé au service juridique d’estimer combien ça risque de coûter à l’entreprise. Double espresso c’est ça ? Le coût risque d’être abyssal, comme vous le savez, de plus en plus d’affaires juridiques sanctionnent les sociétés du secteur, si on en suit la jurisprudence européenne et qu’on la multiplie par le nombre de cas, ça pourrait nous coûter plus d’un milliard d’euros.

– Quoi ? Mais c’est une affaire qui peut nous mettre littéralement à terre.

– Oui, mais il y a une porte de sortie challengeante qui pourrait bien nous sauver mais qui va demander une réorganisation profonde, ça ne sera pas sans risques et sans perturbations mais cela me semble être la meilleure carte à jouer.

– Si vous nous sortez de cette affaire Philippe, ça serait merveilleux. Comment comptez-vous vous y prendre ?

– j’ai pu créer une relation de confiance avec Françoise la leader du mouvement, j’ai obtenu une trêve pour s’entendre sur un accord qui éviterait le lancement de leur action. Ce qui est incroyable dans cette histoire, c’est que le collectif demande une transformation écologique de notre activité en priorité. Il voit les millions d’euros de dédommagement pour préjudices subis comme un levier de sanction si on ne met pas en place une vraie alternative écologique pour nos clients. Avec mes dernières innovations sur le secteur agrobiologique, on pourrait se servir de ce coup dur comme une opportunité pour faire effectuer un virage à notre marché, une disruption biologique en quelque sorte.

Le mois dernier, les résultats des essais de mon labo agrobiologique ont dépassé le seuil de rentabilité à coût de ventes constants pour nos clients. Avec une aide, idéalement publique, pendant les 3 années de conversion, les agriculteurs pourraient embrayer sur une agriculture biologique sans le contrecoup du délai d’attente pour obtenir le label. Leurs profits exploseraient à l’obtention du label. Je crois que si on arrive à donner ça au collectif comme si cela avait un coût pharaonique pour nous, on pourrait s’en sortir en dédommageant les familles non pas comme des victimes mais comme les premiers partenaires vers une agro-industrie écologique qui marquera l’histoire agricole de la planète. Si on se débrouille bien dans les enjeux des marques de nos produits on pourrait effectuer cette transition sans aucun creux dans le chiffre d’affaires.

– André pris son téléphone. Amélie, annulez tous mes rendez-vous de la matinée vous voulez bien. Philippe, on a la matinée pour préparer cette négociation ensemble.

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– Drôle de lieu pour une séance de coaching.

– Pourquoi, vous n’aimez pas la campagne ?

– Si, mais c’est tout de même assez loin de Paris.

– Philippe, je vous présente Françoise Lachaise, elle habite Saint-Martin-Aux-Champs depuis son enfance. Epouse de Pascal, agriculteur décédé l’année dernière.

– Bonjour Madame.

– Bonjour Monsieur, vous êtes le patron d’Agrinov ?

– Oui tout à fait

– Je ne vous fais pas rencontrer n’importe qui, s’amusa Salima.

– Ne restez pas devant la porte, rentrez, j’ai fait du café et des gâteaux, invita Françoise en rentrant dans la maison.

– C’est quoi ce plan ? Chuchota Philippe à l’oreille de Salima.

– Comme je vous l’ai dit je ne vous fais pas rencontrer n’importe qui. Cette personne va vous aider à effectuer votre transition écologique.

Philippe entra dans la maison, l’air dubitatif. A l’intérieur cela sentait l’ancien, des vieux meubles en bois, des photos d’enfants à toutes les étapes de leurs vies, une veille cheminée dont émanait une odeur de cendre froide avec au-dessus la photo encadrée du mari.

– Vous savez Françoise, Philippe à lui aussi perdu son conjoint.

– C’est dur, n’est-ce pas ?

– Oui, ça l’est.

– Installez-vous ici, montra Françoise. Pascal était un mari adorable vous savez. Tous les mois du jour de notre rencontre, il me cueillait une rose rouge. Vous ne pouvez pas savoir à quel point il me manque.

– Que lui est-il arrivé ?

– Il est mort d’un cancer l’année dernière. Comme les cent familles d’agriculteurs francophones avec laquelle nous avons monté une association. Toutes les exploitations concernées utilisaient des produits de votre entreprise. Chez certaines familles, ce sont les enfants qui ont souffert de cette maladie. C’est terrible comme maladie vous savez. Nous nous apprêtions à nous lancer dans une campagne juridique et médiatique pour obtenir gain de cause mais Salima, nous a convaincu d’attendre de vous rencontrer pour essayer de trouver un terrain d’entente sans avoir à partir dans cette démarche. Est-ce que vous reconnaissez le problème ?

– Oui je reconnais bien évidemment le problème, notre industrie n’est pas sans aucun risque sur la santé des agriculteurs. Est-ce que votre mari portait les équipements de protections individuels nécessaires pendant la manipulation et l’épandage des produits ?

– Je sais qu’il en mettait certains, le masque respiratoire en tout cas c’est sûr. On a un scientifique, un médecin qui s’est penché sur le sujet et qui a mené une étude sur nos 100 familles et il dit que la corrélation entre l’usage de vos produits et les cancers est statiquement validée. Tenez, j’ai une copie de ce rapport pour vous. Est-ce que vous avez envie d’agir pour arrêter ces drames ?

– Oui, bien sûr, dit Philippe en prenant le document et en regardant Françoise puis Salima, l’air un peu perdu, un peu piégé aussi. Salima restait en réserve, elle se contentait d’une écoute attentive à chaque prise de parole, tout dans sa posture invitait au dialogue bienveillant. Qu’est-ce qui est important pour vous ? Poursuivit-il en s’adressant à Françoise.

– Ce qui est important pour moi, c’est qu’on arrête de tuer des gens avec vos produits mortifères. L’association, veut qu’avec vos bénéfices vous financiez le virage vers une agriculture biologique pour tous vos clients.

– Ah oui, ce n’est pas une petite demande.

– Salima m’a dit que vous seriez avec nous. Est-ce que vous l’êtes ?

– Oui, je veux pouvoir jouer un rôle fort vers une agriculture qui fait que nourrir et plus mourir. Je suis plutôt en phase avec votre proposition, je préfère clairement financer le changement vers une agriculture saine et durable que de voir l’argent de mon entreprise payer des frais et indemnités juridiques. La principale difficulté ici, c’est que ce n’est pas moi qui décide d’un tel virage, je suis le directeur de l’entreprise, je ne suis pas son propriétaire. Le groupe est possédé à 51% par ma belle famille, c’est eux qui prennent de telles décisions.

– Très bien ! S’enjoua Salima à la surprise des deux autres. Travaillons ensemble tous les trois à comment nous allons pouvoir les convaincre. Déjà est-ce que vous possédez des parts dans l’affaire ?

– Oui, j’ai pris 10% du capital initial d’Agrinov lorsque je l’ai fondé. Tout le reste appartient au groupe familial. Dans ses règles de fonctionnement, les époux et épouses n’ont pas accès au capital, seuls mes enfants à leur majorité aurait pu faire partie des héritiers.

– Je vois, rien qui vous permette de vraiment peser dans les décisions à ce niveau. Quel est votre poids ici, qu’est que vous pouvez leur donner ou leur enlever pour qu’ils vous suivent dans cette aventure ?

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– Comment vous sentez vous depuis la dernière fois ?

– Beaucoup mieux je dois l’avouer. Je rêve de ma famille la nuit, je suis anxieux le matin et j’applique vos exercices de méditation et cela me fait beaucoup de bien. J’arrive de nouveau à reprendre de l’intérêt pour mon travail. Et j’ai du mal à l’avouer mais j’en arrive à apprécier aussi une nouvelle forme de liberté.

– Je vais encore choquer, tout est ambivalent donc dans toute perte il y a quelque chose que l’on gagne. Et ce que l’on gagne, c’est souvent des préoccupations en moins et/ou des possibilités en plus. C’est le culte du deuil, le sur-respect face au lien sacré du mariage, au lien sacré de l’amour au-delà de la mort, au lien sacré de la lourdeur de vivre qui nous empêche de voir le bien dans les drames. Philippe commençait à s’habituer aux propos iconoclastes de Salima. Il avait pris goût à cette incroyable liberté d’esprit qui semblait aller de pair avec son mieux être.

Comment envisagez-vous votre réinvestissement professionnel ? Poursuivit-elle.

– J’ai envie de profiter de ma nouvelle liberté, pour transformer mon activité professionnelle vers quelque chose qui me plairait encore mieux, qui ferait plus sens aussi.

– Pourquoi, votre travail ne vous parait pas produire assez de sens ?

– Je mets au point des engrais et des pesticides innovants pour l’industrie agricole. Ça augmente les rendements, donc ça nourrit l’humanité et ça évite les famines mais d’un autre côté, ça détruit la biodiversité et ça augmente les maladies digestives et les cancers. J’ai toujours jusqu’à présent envisagé le bilan de ce que je faisais comme positif mais non optimal. Mon beau-père m’a toujours montré l’impact de la révolution agronomique comme quelque chose d’incroyablement positif : nous avons délivré l’humanité de l’horreur des famines, on ne meurt plus de faim aujourd’hui, disait-il. C’est quelqu’un qui sait motiver en mettant en perspective historique les choses, Mathilde tenait ça de lui sans doute. Philippe s’arrêta un instant, piqué par une légère pointe de tristesse.

– Comment pourriez-vous rendre votre travail plus optimal ?

– En mettant en place un programme que je développe depuis de nombreuses années dans la cadre de la R&D sur la transition écologique agricole. Il y a une pression politique de plus en plus importante sur les normes agricoles à aller vers une agro-industrie durable, sans les effets nuisibles des pesticides sur la santé. J’ai travaillé à mettre au point un nouveau modèle d’agro-industrie sans apport de pesticides chimiques dangereux pour le vivant. Je pense qu’avec ça, on pourrait nourrir l’humanité durablement en évitant les conséquences négatives sur la santé et la biodiversité. Mais à chaque fois que je le présente en comité de direction, la commercialisation de cette méthode avec des engrais et des pesticides biologiques et renouvelables parait trop risquée et est écartée catégoriquement. Nous sommes les leaders de l’agro-industrie conventionnelle, se serait comme scier la branche sur laquelle notre fortune repose.

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– Alors vous avez pu vous y faire ?

– A quoi ?

– A la mort de votre femme et de vos enfants ?

– Et bin, vous au moins vous ne prenez pas de gants avec vos clients.

– On est là pour avancer, pas pour se cajoler. Prendre soin de ce qui nous fait mal, ça a jamais aidé à s’en délivrer. Ça vous fait mal comment encore ?

– Je dirais que c’est moins douloureux, plus je pleure et plus ça passe, plus ça passe, plus je reprends goût à la vie.

– Très bien Philippe, comme je vous l’ai dit vous avez le droit d’être heureux, l’abandon, la mort, quand elles nous impliquent ne sont pas une objection contre la joie d’être en vie. Les gens donnent souvent trop d’importance à la mort et à la séparation. Une gravité qui ajoute de la souffrance à la souffrance, beaucoup de gens s’enlisent avec la mort et l’abandon.

– Oui, enfin, c’est quand même plus simple à dire qu’à faire et si je suis heureux dans ces circonstances, les gens me prendraient pour un fou.

– Dans un monde malade, il est normal quand on vit sainement, de paraitre un peu fou.

– En tout cas, même si la douleur du deuil diminue, cela n’enlève pas le manque. Il est terrible ce manque. La quasi-totalité de mes pensées tournent en boucle sur ma femme et mes enfants.

– Quand vous aurez surmonter le deuil, une journée passera sans que vous pensiez à ceux que vous avez perdus. Mais je l’admets, on n’en est pas encore là. Comment ça fonctionne le manque selon vous ?

– Je dirais que c’est quand quelque chose de nécessaire qui n’est plus là et que cela déclenche une sorte d’alarme psychique qui nous met en mouvement pour retrouver cette chose.

– Quelque chose de nécessaire vous-dites ?

– Oui un manque, c’est quelque chose de nécessaire que le corps réclame, non ?

– Faux, on peut manquer de quelque chose d’inutile. Si je bois pour combler le déséquilibre d’endorphine qui ne serait jamais apparu sans mon alcoolisme, alors j’ai créé un phénomène de manque inutile pour mon existence. Quelle était l’utilité de votre famille ?

– Bin avoir une raison qui me fait lever tous les matins, ça vous semble inutile ça ?

– Oui c’est inutile. Pas besoin d’avoir une raison de vivre, on vit très bien sans ça.

– Vous rigolez ?

– Non je suis très sérieuse, on sacralise la mort, on sacralise la famille et après on s’étonne qu’on ait du mal à passer à autre chose.

– Vous, vous n’avez pas de raison de vivre ?

– Je n’ai pas besoin d’avoir des rêves illusoires pour permettre à mon cœur de continuer à battre. La vie est bien au-dessus de ce genre de préoccupation. Tant qu’il y a de la vie et que je peux m’y connecter, j’avance dans la vie avec légèreté, fidèle à ce qu’elle est. C’est quand on est fidèle à la morale des malades du vivre qu’on se flagelle sans pouvoir échapper à des pensées morbides, stériles et inutiles.

Salima sentit le besoin de revenir au besoin actuel de Philippe : mais bon, vous avez raison, la vie, c’est aussi du manque. Et ce qui est nécessaire pour vous, c’est de rediriger votre élan vital vers autre chose que des morts.

– Vous auriez pu au moins me demander si j’avais des problèmes cardiaques, votre thérapie choc, elle est pas pour toutes les âmes.

– C’est vrai, elle est tout à fait adaptée à votre capacité rationnelle hors du commun. C’est ça et votre humour qui vont vous faire économiser des années de souffrances. Tout adulte s’il n’était pas gâché par l’intériorisation des normes sociales toxiques pourrait traverser un deuil comme un enfant de huit ans le fait naturellement en quelques semaines si ces besoins affectifs sont de nouveaux comblés. Êtes-vous moins capable qu’un enfant de 8 ans ?

– J’entends le raisonnement, mais comment vais-je combler mes besoins affectifs ?

– Les besoins affectifs, c’est pour les enfants. Vous, vous êtes autonome, vous n’avez pas besoin que des grands vous aiment pour avoir de quoi manger dans votre assiette et de quoi jouer et dormir dans votre maison.

Sur ces mots Salima, se leva. Un silence s’installa. Elle se rapprocha de Philippe, mis sa main gauche sur son épaule droite. Maintenant regardez de nouveau mes doigts. Et clap, plongez en vous. L’hypnose opéra de nouveau. Philippe s’inclina aussitôt, plongea en lui.

Salima poursuivit en prononçant avec tranquillité, calme et force les mots qui lui semblaient pouvoir le mieux aider Philippe dans l’instant. Vous avez perdu des proches oui et pourtant là, vous vous sentez de mieux en mieux, vous sentez la vie s’écouler paisiblement et goulument en vous.

Vous avez le droit de souffrir, vous avez le droit de vivre, vous avez la possibilité de vous connecter à la vie qui ne se soucie pas de la mort, qui ne se soucie pas des morts, qui ne se soucie pas tout court.

Elle s’écoule, tout s’écoule. Ecoulez-vous.

Le chagrin s’écoule en vous, plus je vous parle et plus la perte se nettoie, plus la plaie se referme, plus la joie de vivre revient.

La vie qui était dans votre famille ne voudrait pas votre mort à l’âme. Personne ne veut votre mort à l’âme. Aimez-vous, aimez la vie en vous, c’est la meilleure manière de faire face à la mort.

Maintenant, imaginez-vous avec votre famille, il y a une cérémonie qui a été préparée pour vous. Il y a votre femme et vos enfants, ils sont beaux, comme pour un mariage ou pour un enterrement. Ils sont venus vous dire aurevoir.

Prenez tout le temps qu’il vous est nécessaire pour imaginer vos adieux. Cela sera la dernière fois que vous aurez besoin de les avoir près de vous.

A la fin, laissez-les s’en aller.

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– Vous, vous avez subi un drame.

– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? Mon fond de tristesse dans mon regard ? Réagit Philippe en regardant son reflet dans le grand miroir en face de lui.

– Non, juste quand on boit des verres d’alcool fort seul dans un bar, en général, c’est qu’il a quelque chose de lourd à digérer.

– J’ai une sacrée épreuve à traverser vous savez. Je ne suis pas fier de cette solution, mais aujourd’hui j’avais besoin de ça. J’ai refusé les cachets qu’on m’a prescrit pour soulager ma peine, j’ai dû faire ça par orgueil ou par peur de commencer à en prendre et de ne plus pouvoir m’arrêter.

– C’est sûr que l’alcool c’est beaucoup moins addictif comme drogue. Taquina l’inconnue venue de nulle part troubler son soulagement chimique.

Vous savez, il n’y a pas de mal à prendre des cachets quand on souffre, le temps de la crise. Les blessures à l’âme, c’est comme les blessures au corps. C’est juste qu’elles sont beaucoup moins visibles et plus coriaces.

Si jamais vous avez besoin d’aide pour traverser votre épreuve, contactez-moi. Dit-elle en déposant une carte de visite sur le comptoir où s’accoudait Philippe.

Sur la carte de visite on pouvait lire Salima M’Barek, accompagnatrice en reconquête de vie, 150€/h.

*

– C’est comme ça que vous trouvez vos clients, en allant dans les bars huppés dégoter les êtres esseulés en mal de vivre capable de dépenser des fortunes en thérapie ?

– C’est une de mes approches commerciales en effet. Plus efficace que Doctolib vous ne trouvez pas ?

– Peut-être oui, sourit Philippe. Vous avez des diplômes ?

– Non, je n’ai même pas de papier, mais j’ai du vécu et de nombreuses réussites. Je connais le chemin pour rééquilibrer le vivre, les pensées et les hormones.

Philippe se demandait si elle blaguait ou non sur ses papiers, et puis après si elle blaguait tout court sur tout. Je ne reviendrais pas si c’est une arnaque, en tout cas j’ai envie de jouer le jeu, pensa-t-il.

– les hormones dites-vous ? Vous distribuez aussi des drogues ? A ce prix-là, il est vrai que ça pourrait faire partie du package.

– Haha non, même pas. L’esprit est déjà une cuisine à hormones vous savez, si l’on ne se fait plus de bons petits plats maison et qu’on préfère les livraisons, ça nous coute plus cher et ça nous rend plus addict à la mal bouffe.

– Je vois et vous, vous avez la recette pour faire des plats maison c’est ça ?

– C’est ça. Répondit-elle avec aplomb, fixant Philippe droit dans les yeux. Tout son être dégageait des effluves de tranquillité, d’innocence et de bienveillance qui donnaient envie à Philippe de se laisser aller.

– Elle se rapprocha, mis sa main sur son épaule, agita les doigts de sa main droite devant les yeux de Philippe, puis claqua des doigts en disant assurément : plongez en vous.

Aussitôt la tête de Philippe pencha en avant, il fermait les yeux, se sentant déconnecté.

Elle poursuivit lentement. Je vous propose un espace à vous où il n’y a rien à faire que rien faire.

Laissez-vous aller complètement (Salima, utilisa son téléphone pour lancer une musique apaisante et méditative que l’on peut entendre dans les salons de massage). Philippe plongea en lui plus profondément se sentant de plus en plus apaisé. Il ne savait plus où il était, d’où il venait, avec qui il était, il n’était pas sur un nuage, il était ce nuage.

Ici, se trouve votre espace de sérénité.

Cet espace se trouve à proximité de votre cuisine intérieure.

C’est là que nous reprogrammeront votre cocktail émotionnel, réactionnel et hormonal. C’est dans cette cuisine que vous élaborerez la meilleure manière de vivre pour vous à présent et pour demain, et après-demain. Vous avez le droit à l’apaisement et au bonheur, quoiqu’il arrive dans votre existence. Accordez-vous le.

Comment vous sentez vous Philippe ?

– Je vais bien. Répondit-il calmement toujours dans la même position, la tête baissée, les yeux fermés. Mais je me sens perturbé par ce que vous venez de me dire. Comment puis-je être heureux alors que toute ma famille est morte ?

– Là vous ne le pouvez pas encore, vous avez encore besoin de tristesse pour nettoyer et guérir la blessure. Accordez-vous cette émotion. Vous y avez droit.

Philippe se mit à pleurer comme il ne l’avait jamais fait auparavant.

Après quelques minutes, elle reprit, vous pouvez revenir là avec moi et pleurer tout ce qu’il faudra, le temps qu’il faudra. Lui tendant un paquet de mouchoirs avec un visage empathique et un sourire juste.

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