Militer ou être heureux, pourquoi choisir ?

L’activisme, c’est ne pas rester passif face aux injustices et participer du processus historique d’amélioration politique de la société.

La politique consistant à organiser ce qui est commun.

Plus on laisse faire et moins il y a de bons communs et donc de jouissances d’usage du logement, des places publiques, des loisirs, de l’éducation, de la santé, des transports, de la sécurité pour toutes et tous. Plus on laisse faire et plus le profit des puissants l’emporte sur le bien commun, la santé publique, la biodiversité, la qualité et la durabilité de la vie. S’investir politiquement, c’est vouloir faire face. Et ce faire face a un coût, surtout quand on est du côté des moins puissants, car il s’agira de faire face aux forces de l’ordre qui défendent toujours ceux qui sont plus haut dans la hiérarchie de la société.

Voilà un court exemple de ce que pourrait être le début d’un manifeste politique. Qui a des chances d’être séduit par ces propos et de vouloir rejoindre le mouvement ?

Les intellos qui se chauffent collectivement à affronter leurs peurs pour être en cohérence avec leurs valeurs de gauche qu’ils ont mûri ensemble préalablement. C’est vrai que c’est intelligent d’agir pour l’amélioration de la condition humaine de manière matérielle. C’est vrai que c’est intelligent de vouloir comprendre comment fonctionne le pouvoir et enrayer la machine qui broie les âmes et la vie. C’est vrai que c’est intelligent de prendre sa part du fardeau de l’humanité et de sauver les autres. Enfin là, peut-être pas. Oui ici se situe un dilemme, car l’intelligence que je ne mets pas à la poursuite de mon bonheur, mais au combat des autres produit quel bonheur ? Ici plus je suis loin de l’intérêt direct de la cause que je défends et plus je risque de jouer les sauveurs et de me rendre malheureux pour eux. Est-ce là apporter quelque chose au monde ? Qui suis-je pour me penser plus intelligent que les premiers concernés ? N’est-ce pas dans la nature de certains humains d’être plus heureux dans la soumission, la compétition et le gaspillage ? Pourquoi la vie sur terre a t-elle tant de valeur ? Ici, quand cette partie de moi se pose ces questions, c’est que j’ai peur. Je fuis devant un impératif moral que mon esprit de compréhension du monde a élaboré. Et cet accord intérieur, cet engagement politique, il fait flipper mon cerveau reptilien. Et tout acte d’engagement politique qui comprend que la confrontation est nécessaire (le pouvoir institutionnel se corrige avec du contre pouvoir citoyen qui est toujours plus fragile qu’une police ou une armée) cela génère un dilemme entre mon intelligence au monde et mon besoin de sécurité.

La compréhension des causes des injustices du monde nous rend activistes, notre besoin reptilien de sécurité nous rend passifs.

Dans le cas d’une injustice où l’on est touché directement par une oppression que l’on subit et que l’on ne peut fuir, il me semble que l’on en vient à se confronter à une autorité quand la perception de l’intensité de l’injustice est supérieure à l’intensité de la peur. Se mettre ensemble catalysant ainsi la démarche vers la confrontation, car elle diminue significativement la peur. Ensemble on a moins peur.

Le problème avec la pensée conflictualisante et altruiste, qui est nécessaire à la transformation sociale et écologique, c’est qu’elle peut être justement source de souffrance pour les esprits, les âmes et les corps des militants. Là où il y a du conflit, il y a de la peur ou de la colère, là où il y a de la peur et de la colère, il ne peut y avoir de bonheur. Ce qui fait qu’on peut être séduit par la voie de l’apolitisme.

En gros, on en revient à ce bon vieux dilemme intellectuel gauche-droite, altruiste-égoïste. Si j’ai un ancrage affectif à gauche, c’est très dur d’assumer mon égoïsme en me désengageant de la question sociale et environnementale, ça fait perdre mes potes de gauche. Si j’ai un ancrage affectif à droite, c’est très dur de m’opposer au système capitaliste, je la joue gaucho en quittant le plateau de jeu de la compétition sociale et de la possession, ça me fait perdre mes amis de droite. Une grande partie de l’engagement politique est encore une question de sécurité, ici, affective. C’est celle qui me semble d’ailleurs prédominante pour nous mammifères humains.

C’est fou comme le fait d’appartenir à un groupe, d’y être une pleine partie, incluse dans ses valeurs, dans ses délires, dans son Nous, génère un profond sentiment de sécurité et de confiance, ce qui engendre d’ailleurs plein de formes d’abus. Quand on regarde le film La Vague, ça saute au yeux (très bon film d’ailleurs). La peur face à la confrontation engendre l’apolitisme, l’irritation face au non respect des règles et des normes engendre le « surpolitisme »(régime fasciste). Ce qui ouvre ici la voie de la spiritualité. Vous allez me dire, alors là, rien à voir…

Comment compenser sainement cette carence en sentiment de sécurité ? La fusion dans le groupe permet le sentiment sécurisant d’inclusion, mais provoque une autre dépendance pressurisante, voire nuisible pour soi et le commun. Est-il possible, alors, de trouver des ressources intérieures pour jouir intensément et sereinement de toute sa liberté individuelle ? La spiritualité, ça va dans ce sens.

Cela fait 9 mois que j’ai mis une priorité absolue au soin de mon corps et de mon esprit, je médite quotidiennement, je n’ai jamais été aussi peu addict à des trucs qui abiment la santé et surtout je ne fais quasiment que ce qui me plait. C’était un sacré interdit intérieur à lever ça. Le nombre de fois où j’ai entendu des personnes qui avaient de l’autorité sur moi dire « dans la vie, on fait PAS ce qu’on veut ! », il m’a fallu de nombreuses séances d’autohypnose pour déconstruire en partie cette injonction au coeur de toute société humaine aliénante. Bref je me suis libéré et spiritualisé. Se spiritualiser, c’est dépolluer son esprit et retrouver des sensations d’harmonie intérieure de manière intermittente. Quand on a ça, on a moins besoin de devoir être avec les autres, on est avec eux parce que ça nous plait surtout. On peut plus s’affirmer, on a moins peur de perdre, on est plus libre, on se drogue moins et on aime plus. Décevoir devient de moins en moins une objection contre le kif de soi à travers la vie.

Avant, j’allais chercher vers les autres ce que l’on m’avait fait perdre à l’intérieur, ma confiance et mon bonheur. Une sorte de liaison dangereuse, car l’extérieur n’est pas prodigueur durable de bonheur. Mon bonheur, c’est une responsabilité personnelle, spirituelle si j’ose dire. Combattre pour la justice et la vie, c’en est une autre.

Se libérer de la peur du rejet et de la déception des autres, ne fait pas de moi un activiste, défenseur des communs. Au contraire, cela m’invite plus au repli sur moi dans une forme contemplative d’un commun plus intime et plus vaste : soi qui se dilue dans la vie et le cosmos, soi : réceptacle de la beauté sensible et intelligible du monde. Si je continue dans cette voie, je pourrais un jour être tenté d’abandonner mon costume d’activiste car trop perturbateur pour ma communion intérieure avec la création. Lorsque je sors personnellement de la souffrance que les systèmes de dominations produisent, quelle force persiste pour me pousser à lutter ? Si je fuis la souffrance sociale par l’harmonie solitaire, pourquoi et comment militer ? Quand je me pose ces questions, c’est que j’ai peur.

J’ai peur du monde alors je me cajole de bonheur intérieur. J’ai découvert cette ressource et j’en deviens hautement dépendant. En fait là, il y a un vertige. Un vertige existentiel depuis mon état harmonieux en surplomb d’un monde intoxiqué et toxique. Je n’ai jamais été aussi heureux, vibrant d’apaisement, d’émerveillement et d’amour (toutefois relatif) et cet état est accessible avec quasi-rien (« quasi » qui est loin d’être rien, avoir ce qu’il faut pour être en bonne santé), bouleversant mon rapport aux besoins et donc bouleversant ma vision politique aussi. J’aurais envie de militer pour l’accès à la spiritualité et l’accès à la spiritualité est beaucoup moins obstruée par des injustices matérielles que par des injustices spirituelles. En fait, l’accès à l’harmonie intérieure est encombré par les systèmes de maltraitances psychologiques. La spiritualité, c’est se guérir de ça, ou en tout cas de palier à ça, individuellement.

Comme il m’est impossible d’être insensible au sort de la vie au-delà de moi et qu’il est intelligent de prévenir plutôt que guérir, cela oriente mon militantisme vers l’émergence d’une société du bientraitement. Plus la maltraitance est procurée par des proches, plus elle est douloureuse et contaminante. Ce qui fait du disfonctionnement familial et amical le coeur de l’injustice du monde. Comment agir là dessus ? Comment militer là dessus à l’échelle du monde ? Cette échelle qui est au coeur du sentiment d’impuissance et de résignation de nombreux militants et militantes.

Or les milieux militants n’échappent pas à l’intériorisation des systèmes de maltraitance ou conserve un rapport anxieux vis à vis de ceux-ci. Ce qui fait que le militantisme de transformation sociale, qui est par nature collectif, doit être amener à évoluer et être soigné de la toxicité psychologique dans lequel le monde baigne.

En tout cas, étant influencé par l’apport de la spiritualité dans ma vie, œuvrer pour la santé mentale pour toustes me semble actuellement être une voie militante judicieuse. Cette même spiritualité qui me renforce dans l’action directe non-violente physiquement et psychologiquement comme moyen militant d’action privilégié. Il nous faut corriger les asymétries de pouvoirs-richesses à l’œuvre car c’est dans ce phénomène qu’existe les rapports de domination et donc la maltraitance qui y prend sa source. Et si ces actions directes amènent les lois et les politiques publiques à aller dans la bonne direction, alors mon agissement militant se trouve au bon endroit.

La spiritualité est une manière d’échapper à la souffrance, individuellement. Le militantisme est une manière de la diminuer, sociologiquement.

Je suis un individu vivant, rationnel, conscient et social. Reste à savoir si j’aurais le courage reptilien et l’intelligence pragmatique d’aller au bout de ma souffrance-peur dans le monde et de savoir mieux faire avec les autres dans notre humanité commune.

Un grand merci à Adrien pour l’amitié et la stimulation intellectuelle qui a fait de moi un militant et à Antoine pour ton compagnonnage là-dedans et la relecture active de cet article.

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