Si notre individuation peut être coûteuse sur le plan de l’amitié en nous distanciant de certains groupes, elle est aussi nécessaire à notre santé mentale.
Et parce que notre monde est malade, divisé, conflictualisé, tout individu humain est amené à traverser des conflits internes entre ses identités (les étiquettes que les autres lui collent) et sa personnalité authentique. Plus sa personnalité authentique est atypique par rapport à son milieu culturel, plus il risquera les exclusions et les brimades, plus il devra se retirer des autres pour survivre psychologiquement et chercher des groupes qui lui ressemble. Dans les systèmes éducatifs où le fascisme n’a pas été évacué, la similarité est le principe de sélection des groupes.
Dans tous les cas, le groupe nous pressurise. Il nous presse à devoir plaire et à devoir paraitre, à faire plaisir et à agir selon les valeurs et les rites qui structurent le groupe. Et cela rentre en conflit avec notre Être qui lui nous invite intimement à la liberté. L’Être est le lieu de l’individualité, le Plaire, celui de la sociabilité, le Paraître, celui de l’aliénation.
Une fois la séduction faite, nous voilà à notre place dans le groupe. Et puis, parfois, la pression du groupe est trop forte ou est insuffisamment stimulante pour s’y sentir bien et donc s’y maintenir. C’est ainsi que tout au long de notre vie nous sommes potentiellement amenés à prendre notre distance avec nos groupes familiaux, conjugaux, amicaux, communautaires, professionnels, collégiaux, associatifs, politiques ou nationaux.
On prend de l’autonomie physique, psychologique, intellectuelle, professionnelle, économique, existentielle et cette autonomie, nous rend plus libres. il y a dans nos vies, des points de bascule où l’attrait de la libération vient à l’emporter sur les coûts qu’impliquent la distanciation du groupe.
Il y a en fait trois issues possibles dans ce phénomène de désunion.
- Celle vue plus haut, liée à un processus d’individuation : je n’ai plus assez besoin de vous pour me maintenir dans le rôle que j’occupais jusqu’à présent. Je me retire, seul.
- Celle liée à un processus de défection vers un nouveau groupe : j’ai été capable de séduire et de m’intégrer dans un meilleur groupe, bye.
- Celle liée à un processus de bannissement suite à une faute : j’ai pas su tenir suffisament bien le rôle que la situation exigeait, on me fait comprendre que la relation sera différente, voire qu’il n’y aura plus de relation.
Toute séparation s’articule très souvent dans une combinaison plus ou moins intriquée, nuancée et chronologique de ces 3 issues dans des changements d’attitudes plus ou moins successifs entre le ou les fuyants-excluants et le ou les retenants-incluants. Des inversions de ces deux rôles fuyant-retenant, excluant-incluant par les acteurs en jeu peuvent aussi avoir lieu.
Avant d’entrer dans la résolution du sujet, cette question de nuancement me vient en tête : est-il possible de se distancier sans être rejeté ? Oui cela est possible. En d’autre terme, on peut garder du lien d’amitié en mettant fin à un rôle que l’on tenait dans un groupe. A la double condition, que ceux qui sont impactés par le rôle qu’on jouait nous comprennent et se sentent respectés. Ce qui n’est pas forcément gagné, surtout pour ceux qui perdront le plus au sein du groupe : les dominants et les premiers impliqués, mais on peut toujours essayer :).
Le dilemme socialité-individualité et la mécanique de la distanciation sociale étant posés, venons-en maintenant à la tentative de résolution : pourquoi devons nous parfois avoir le courage d’être rejeté ?
Parce que si je suis dans des groupes qui me font mal-être, en prendre mes distances de manière définitive ou non, peut être la condition à mon bien-être, mon bonheur.
Le bonheur n’existe que dans les moments de plénitude, c’est à dire dans les moments où il n’y a pas de conflit. Être, est une forme de plénitude qui se cultive peut-être mieux dans la solitude. Les névroses me font mal-être, elle me divise : la société m’a étiqueté, j’y est cru, je me suis perdu, je me suis divisé, je me suis victimisé, je me suis névrosé alors je souffre, je ne suis plus entier avec moi et le monde qui m’entoure. C’est pourquoi ceux qui savent s’extraire et réconcilier leur conflits intérieurs peuvent éprouver de meilleures sensations seuls, pleins, en communion existentielle, en harmonie entre leur matière, leurs émotions, leur mental, leur conscience, la beauté du monde et la puissance de la vie, qu’en compagnie des névroses et des préoccupations et distractions négatives des autres.
Eric Berne, le psychiatre fondateur de l’Analyse Transactionnelle avait mis le doigt sur ce qui fait qu’on se sent mieux quand on voit du monde qu’à ruminer tout seul. Les enjeux sociaux sont tellement important pour notre cerveau qu’il a développé une sorte de fonction « vide déchets » quand on passe de sa solitude à la présence dans un groupe. Arriver face à un groupe ou une personne non intime, nous rend à l’écoute, chassant nos préoccupations mentales. Cela explique que quand nous sommes en crise névrotique, c’est à dire préoccupé par notre responsabilité ou celle des autres dans une situation où la victimité est activée : on peut avoir envie d’aller vers les autres pour fuir cette agitation mentale douloureuse. Mais si notre intimité personnelle est saine, sans crise névrotique, il faudra que le groupe nous apporte un surplus de kif pour que le bilan existentiel soit positif.
Quand on est conscient des enjeux existentiels de l’amitié partagée (voir l’article précédent), cela nous amène à voir cette quête de plénitude personnelle comme un point de départ sérénisant, un embarcadère sécurisé vers un maximum existentiel à venir. Où l’appel de la mer des amitiés et des amours partagés embarque avec le véhicule d’un corps-esprit réparé, réunifié avec la vie.
Libérer du besoin névrotique de séduire et d’être aimé, je me rendrais ici capable de cocréer des groupes où chacun peut être pleinement qui il ou elle est au sein de celui-ci. Que tout le monde peut kiffer et jouir de l’esprit, de l’amour-amitié, de la sensibilité et de la sensualité partagées. Sachant que les tabous, les névroses et les désaccord politiques sont les obstacles avec lesquels composés, on se met en vigilance et en mouvement pour améliorer son aptitude sociale et devenir acteur de son propre réseau d’amitié et voire même parfois, son metteur en scène.
Ce qui nous amène au prochain article -> Quel pourrait-être le chemin vers l’amicalité optimale ?
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