Comment désinvestir les territoires sociaux toxiques et en investir de meilleurs ?

Je suis seul et j’ai du mal à aller vers les autres, et encore plus vers ma famille.

Cela a mis du temps pour que j’en arrive à aborder cette question dans ce blog, 5 mois depuis son projet. J’avais sans doute besoin de ce temps passé au garage social, couper des liens, couper des autres, pour me restaurer suffisamment.

Ca me fait penser à Nietzsche et son Zaratousthra qui vit des périodes de repli et qui redescend de sa montagne dans la vallée des Hommes des suites de trop d’errance solitaire à taire sa grégarité. Nietzche avait un sérieux problème avec la grégarité, bah laissons ici cette analyse biographique, il était malade.

Longtemps je l’ai été, et je le suis de moins en moins. Zarathoustra aurait dû faire une thérapie pour se réintégrer au monde comme une force saine et transformatrice et non finir avec quelques fous dans les sommets retranchés du Surhumain…

Mais revenons à nos moutons, prenons nos bâtons de marche, et cheminons.

La grégarité, c’est pour les faibles

Voilà en gros le propos de Nietzsche, et il est vrai. Mais là où il est parti en vrille, c’est en refusant de voir sa propre fragilité, sa propre faiblesse. En s’identifiant aux forts, il s’est privé de toute la puissance de la conscience de sa vulnérabilité et du soin qu’elle implique. Nous naissons faibles et dépendants, nous acquérons au cours de la vie de la force et de l’autonomie avant de revenir à plus de faiblesse et de dépendance sur la fin.

Voilà un premier constat plus sain pour aborder la question du lien : plus un individu est autonome et moins la grégarité, la meute, la famille, la société, la relationalité dépendante lui sont utiles.

Et en voilà un deuxième pour avancer plus loin : la dépendance est positive si elle n’est pas toxique, c’est à dire aliénante.

Lorsqu’on impose par la force, la manipulation ou la coercition un individu à respecter nos valeurs, nos règles et à servir nos intérêts, plus nous l’abîmons, nous l’aliénons et faisons usage d’une aliénation antérieure non guérie. Plus on s’aliène et plus le corps va émettre de souffrance qui pourra se muer en rage plus ou moins intériorisée si je fais déni de mes blessures, ou en soumission frustrée et blasée, si je fais déni de ma révolte.

La relation toxique se résume à ça : un individu A contrôle un certain champ comportemental d’un individu B qui accepte la domination de A par peur et attrait du pouvoir que possède A pour B.

Quand on est enfant, notre manque d’autonomie nous condamne, pour survivre, à subir la part de toxicité de nos autorités parentales. En nous enrageant et nous endoctrinant ce que de droit, tel que cela a fait advenir les parts de nous aliénées… Ces parts de nous, en recherche de valorisation, vont être un nid à accueillir toutes formes d’autorités toxiques autour de nous. Se soigner, c’est devenir capable de mettre une porte d’entrée et de sortie à notre hall d’accueil affectif et relationnel.

Donc, pour bien pouvoir s’enrelationner, il nous faut nous guérir, retrouver notre auto-capacité au bonheur et reconquérir notre liberté personnelle en reprenant les commandes de notre autorité comportementale. Et en arriver à pouvoir dire non ou autrement et à avoir le courage paisible de ne pas avoir à être aimé(e) des parts de ceux ou celles qui aiment à condition.

Comme le dit Elion Noor dans sa déclaration d’émancipation familiale :

« Je ne suis pas responsable de prendre soin des conséquences des comportements que d’autres refusent de guérir. »

Des normes et des maux

Un élément délicat là-dedans réside dans le phénomène de la puissance de l’intersubjectivité humaine cher à Yuval Noah Harari qui postule que pour faire ensemble, les humains doivent d’abord (se) croire ensemble.

Donner son accord pour incorporer et se soumettre à la signification et à la valeur que l’on met dans le mot « Famille » peut nous enchainer dans une prison relationnelle toxique.

D’ailleurs, ceux et celles qui vont défendre cette valeur, sont toujours celles et ceux qui profitent le plus du « crime », c’est à dire celles et ceux qui assouvissent le plus leur désir de contrôle en enfermant les autres avec eux dans une inter-relationalité toxique et obligatoire (et donc non forcément consentie et donc non forcément juste).

Ce qu’il faut comprendre, pour bien saisir le principe de la toxicité relationnelle humaine, c’est justement l’origine de ce désir de contrôle des autres. Pourquoi cela semble-t-il si vital pour nos tyrans ? Pourquoi certaines personnes s’évertuent à ne pas respecter la liberté personnelle des autres, une des conditions fondamentale au bonheur individuel et collectif ?

Réponse : ils ont souffert d’un dysfonctionnement de l’attachement lorsqu’ils étaient enfants, non encore résolu, générant un fond nerveux et psychique insécure, les rendant hypersensibles à l’abandon. Et pour faire face à la peur de cet abandon ancré dans le système nerveux, notre cerveau a, au cours de l’évolution, acquis une propension puissante pour y faire face : tenter de contrôler la chose… Cela peut devenir un trouble maniaque chez de nombreuses personnes. Tant qu’ils n’auront pas trouvé l’accès profond à un espace psychique tendre, chaleureux et sûr à l’intérieur d’eux-mêmes et compris la toxicité du déni de la liberté individuelle comme socle de santé psychologique et sociale, ils continueront de tourner la roue infernale de la possessivité comportementale des autres.

Rien ne nous oblige de rester dans la cage avec eux (à part, peut-être, ces parts de nous-mêmes encore aliénées).

Se désaliéner n’implique cependant pas pour autant de devenir amoral et de désinvestir cyniquement et nihilistement toutes les valeurs. En faisant cela, certes, il y a peut-être une forme de désaliénation, mais celle-ci est une forme de vengeance réaliénante, souvent immature, guidée par une force frustrée de rébellion qui nous pousse à faire l’inverse des autorités. Qu’on soit du côté de la morale grégaire non conscientisée et non consentie ou du côté de l’immoralité rebelle anticonventionnelle par principe, dans les deux cas, nous sommes dans l’aliénation, l’une de la civilisation dominante, l’autre de la contre-civilisation ressentimentissante, dans les deux cas, nous sommes dans une forme de déshumanisation.

La déshumanisation morale, c’est quand on s’englue émotionnellement dans les normes sociales existantes, soit par soumission compulsive, soit par insoumission réactive, tant quand on est pas encore arriver à restaurer toute l’étendue de son innocence et de sa liberté de conscience originelle. Un humain est un être biosocioculturel, cela en a fait un animal moral : nous avons besoin de croire, puis de défendre et promouvoir habilement ce en quoi nous croyons pour être pleinement et intégralement ce que nous sommes, des individus sociaux et politiques.

Etant doté d’une sensibilité morale génératrice de représentations idéales de ce que je veux être et faire parmi les autres à partir du traitement cérébral de mes peurs, de mes souffrances et de mes joies ; pour m’épanouir pleinement en tant qu’humain : je me dois alors de ne pas la renier cette sensibilité et d’en faire une base morale à défendre et à préserver, à devenir un au-delà de moi par un en-deçà de moi.

Et cette sensibilité morale, elle implique un état d’alerte sensorielle quand notre sens moral perçoit l’immoralité chez l’autre (toutes les parts encore aliénées ou ignorantes de ceux et celles qui, en interaction avec nous, agissent à l’encontre de nos valeurs). Et cette immoralité, elle se trouve aussi chez nos proches, nos relations amicales et familiales non encore déconstruites et remodelées par notre autonomie d’adulte et notre moralité.

Familiarité et adelphités de toutes formes et de tous pays, confrontons-nous et redressons les relations pour que nous fassions de ce monde un havre de paix, de kif et de moralité.

Devenir un agent libre, transformateur et guérisseur de liens

Imaginons que nous arrivons au bout du processus de désaliénisation, et que nous voilà entiers, intègres et réintégrés, conscients de ce qui se joue dans les signes d’immoralité et de reconnaissance des autres, libérés de leur part d’emprise et de souffrance. Nous ne nous sentons désormais nullement coupables de leur souffrance. Ayant guéri la nôtre par le travail que nous avons réussi à faire sur nous-mêmes, nous avons appris dans ce processus que la souffrance, bien qu’originaire du disfonctionnement social et culturel, est ensuite qu’intrasubjective…

Je me suis intra-apaisé en recodant mon système nerveux et réorganisant ma cognitivité, je ne me mets alors plus dans tous mes états si l’autre ne me dit rien, me dit non ou autrement, je reste cool et serein, heureux du fait inouï de pouvoir déguster chaque goutte du plaisir vital de vivre, si l’autre est avec moi ou sans moi.

Si l’autre s’irrite en réaction à notre liberté ou notre moralité, c’est son problème, pas le mien, et j’ai tout mon droit d’être profondément libre et de le laisser avec sa souffrance sans y prendre part et de m’abstraire du devoir déshumanisant de la prévenir ou de la soulager si cela offense ma morale ou ma liberté. Sa souffrance ne m’appartient plus, ne me soumet plus, même si cette personne me fait du chantage avec, surtout si elle me fait du chantage avec.

Il y a beaucoup de bonnes choses à partager, même avec les personnes insécures, et ce qui compte le plus là-dedans, c’est notre capacité à manager au mieux les relations avec leur part de contrôle et de toxicité. Cependant, si la personne est structurellement manipulatrice, incapable de prévenance envers moi et d’un partage intime, dévoué, tendre et pépouse qui ne soit pas instrumental, qu’elle cherche régulièrement et foncièrement à nous emmener ailleurs que dans l’ici et maintenant, dans sa zone de kif et de contrôle à elle, l’état de l’art en psychologie dit pour l’heure, de nous enfuir. Mais si on n’a pas à faire à des psychopathes, alors la reconstruction inter-comportementale vers une relation de plus en plus saine est possible.

Bref, une fois être advenu maître en l’art de la guérison psychique, il nous faut devenir maitre en l’art de pouvoir vivre libre et ensemble.

Devenir un bon tisseur de liens, génératif de « feel good », de kifs et de love

Mais pourquoi vivre ensemble, en fait ? Vivre ensemble, c’est vrai que le mot est peut-être un peu fort ; se sentir « être » et « vivre » est un phénomène essentiellement intrasubjectif.

Je pense empiriquement qu’en tant qu’individu parmi d’autres dans le monde, nous sommes, les humains, une forme d’empire dans un empire, un corps-individu-être auto-redéterminable dans un entourage-société-monde coconstruit. Où l’enjeu existentiel ici, serait de devenir un être-société plus libre et heureux dans ce monde dont une part cherche à nous moquer, nous taire ou nous exclure, une autre à nous utiliser et une autre à nous unir et à nous respecter.

Étant un animal et un être social, je peux décider d’apporter une touche de guérison au monde pour donner plus de force à cette part qui unie et qui respecte tous les êtres, et qui transforme les comportements toxiques vers plus de morale et de liberté.

Voilà la big picture, mais je ne sais plus si c’est Jésus ou Nietzche qui disait que le diable se trouve dans les détails…

Ce qui fait que je vais être apte à transformer les relations toxiques existantes en relations respectueuses de la pleine liberté de chacun provient moins de ma capacité à produire de la philosophie que de ma montée en compétence relationnelle.

En gros, j’ai beau devenir bon philosophe, si je ne suis pas une personne s’étant suffisamment confrontée à la part aliénée et toxique des autres et qui résonne avec la mienne, pour arriver à y forger une assertivité de plus en plus efficace et fonctionnelle, je resterai un pauvre type plutôt solitaire, insuffisamment capable d’apporter à autrui un bout de son être pour passer ensemble de bons moments et produire le Bien que la vie dans ce monde mérite.

Alors, quelle première base d’outil méthodologique anti-relations toxiques pourrais-je élaborer et commencer à tester avec les personnes qui cherchent à me contrôler et à me faire faire des choses qui m’inquiètent ou me font me sentir mal ? De quels ingrédients et étapes ce remède anti-relation abusive pourrait-il se composer ?

3 ingrédients anti-relations toxiques :

  1. Acquérir un self-control sécurisé en toute circonstance – grâce à la thérapie IFS de Richard Schwartz
  2. Acquérir le courage de ne pas être aimé et de faire face à des réactions hostiles – grâce aux enseignements d’Alfred Adler avec sa psychologie de la défense et protection de Soi.
  3. Acquérir l’art de bien communiquer et de bien négocier – grâce aux enseignement de Marshall B. Rosenberg sur la Communication Non Violente et de Ury et Fisher sur la Négociation Raisonnée (How to Get a Yes)

Une fois ces 3 ingrédients en poche, 5 étapes anti-relations toxiques :

  1. Identifier et nommer ce dans quoi on m’entraîne malgré moi et les besoins non respectés dans ce processus
  2. Communiquer en prenant soin des autres sur ce phénomène et proposer son souhait de trouver une autre manière de fonctionner qui prenne en compte nos besoins
  3. Prévoir le plan de retrait en cas de non accord
  4. Aller chercher un accord en protégeant l’intégralité de nos besoins
  5. Si l’accord n’est pas possible avec cela, appliquer le plan de retrait qu’on a été amené à communiquer dans l’étape 4 pour défendre en dernière instance, nos besoins.

Et l’ingrédient magique de l’aptitude sociale pour une pleine réussite dans les échanges : ne pas avoir de solution préétablie, avancer en défendant nos besoins et en prenant en compte ceux des autres, afin que ce soit le processus d’élaboration collective qui détermine la solution ou le retrait.

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