Présentation des personnages principaux, évocation de leurs manières d’être au monde et de ce qu’ils ont en tête pour celui-ci. Lucio, le conquérant politique ; Assia, la meneuse révolutionnaire ; Elion, le leader religieux ; et Noah, l’entrepreneur scientifique. Le roman se voudra moins dense et plus accessible ; je compte exposer les concepts philosophiques évoqués ici sous le prisme plus léger de la narration directe, via les rencontres et les confrontations que le roman tentera de mettre en écriture et en scène.
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Lucio Vesperin exultait. Un jaillissement de sensations à vous faire sortir l’âme de son antre. Une éruption biologique, chimique et électrique si vaste et si puissante, que c’en était quasi trop pour un seul homme. Il aurait, là, aimé avoir une autre âme complice et confidente qui vive la même expérience, au même moment, pour pouvoir partager ça et en débriefer pendant des heures. Mais voilà, il était l’unique élu. L’élection au suffrage universel l’avait proclamé, ce soir, pour au moins cinq bonnes années, dirigeant suprême de l’État. Chef d’orchestre et de bataillon d’une puissance civilisationnelle fatiguée. Une part du pays vibrait avec lui et s’y projetait. Il comptait bien s’appuyer dessus et en faire quelque chose de ce bout de civilisation, qu’elle se tienne suffisamment bien debout, qu’elle devienne force triomphante et conquérante, créatrice d’un nouveau monde.
Il avait été choisi, et ils en avaient fait le point de chute physique et symbolique qu’un immense courant d’attentes et de fascinations avait dévalé et façonné dans la roche malléable des institutions politiques et médiatiques. Il avait appris à gagner en démocratie comme un boxeur gravite en rang et en popularité. Enchaînant les rencontres, les chocs, les crochets du gauche, et les directs du droit, il combattait ses adversaires à coup de valeurs et de vérités, dans des joutes verbales dignes des matchs les plus endurants et les plus expéditifs d’un Mohamed Ali, facile et agile, en plein âge d’or. Gagnant ou perdant, il l’emportait à tous les coups. Accumuler et engranger de l’affection d’électeurs, voilà comment, selon lui, on remportait une élection.
Une part de la France était en ébullition et l’acclamait en héros fulgurant, en idole défenseur et protecteur, en icône de toutes situations, enfin en un de ces vastes réceptacles à identité mimétique qui fait qu’un champion rentre dans l’arène, fier et triomphant. Il vient y saisir, en toute légitimité, son pouvoir, bien que, pourtant, en face de lui, une ola n’y aurait guère parcouru bien plus qu’une moitié d’hémicycle. Lucio, entrouvrait la porte de l’Histoire, et il comptait à présent y prendre toute sa part, pour offrir à la France, à l’Europe et au Monde ce qui lui avait de tout temps le plus manqué, une pleine intégrité en pleine puissance.
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Assia Abebayo analysait, dans un chaud détachement, la situation. Que Vesperin l’ait emporté face à l’extrême droite, c’était une bonne chose, elle connaissait sa manière de fonctionner. C’était le type d’adversaire qu’elle connaissait suffisamment bien pour savoir comment le faire bouger. Et intégrer ce que, dans son petit monde d’élites, ils pouvait bien dire, mais ne pouvait pas ressentir : les souffrances perpétrées. Donner suffisamment de force et de puissance à cette souffrance pour qu’elle puisse se faire entendre et respecter, et qu’elle fasse reculer la tyrannie, voilà ce qu’Assia faisait dans la vie. Elle s’y mêlait, à cette part de souffrance du monde, et elle rassemblait les âmes malmenées en syndicats de défense des opprimés, des cassés et des laissés pour compte. Elle faisait union dans la souffrance, force dans la confrontation et justice avec intelligence. Et dans ce monde pollué, d’énergies gaspillées, d’existences précarisées, et d’enfances condamnées, il n’y avait rien d’autre à faire selon elle, que de la soigner et la faire grandir, cette part de vulnérabilité. La souffrance, Assia, elle savait qu’on se passait la recette de génération en génération, de classe en classe, de genre en genre, de norme en norme, et qu’elle se perpétrait, soit par simple et mesquine ignorance, à la manière de monsieur tout le monde, soit, par soif, non encore tarie, d’accaparement et de domination, à la manière des tyrans.
Vesperin, Assia savait que ce n’était pas un de ces types du genre tyran débile et fier de l’être, c’était un gars suffisamment intelligent pour nous épargner le fait qu’en plus d’être très puissant, il devrait être très entêté. Assia avait appris à comprendre que ces deux-là, la puissance et la ferme idée de comment ça devrait être et se passer, ça faisait pas bon ménage. Mais avec des Vesperin, on pouvait plutôt bien contre-exister, on pouvait les faire conte-décider. A condition bien sûr, d’avoir le pouvoir collectif et symbolique de le faire, le pouvoir de leur faire perdre ou de leur faire gagner, d’apporter ou de retirer de la force dans la poursuite de leurs intérêts. On pouvait même parvenir, si on s’y prenait bien, à ouvrir, dans la confrontation, une brèche dans leur armure de supériorité, à les amener à reconnaître qu’une part de leur responsabilité empêchait certains et certaines de ne pas encore les aimer et de ne pas encore les voter. Assia avait connu beaucoup d’hommes et pas un seul ne lui avait démontré l’inexistence de ce qu’ils désiraient le plus au tout fin fond d’eux-mêmes, une bonne tétée d’amour et de reconnaissance.
Vesperin et sa clique, Assia savait que ça fonctionnait comme des esprits programmés à décider et à faire décider pour servir des intérêts. Et leurs intérêts, c’était quelque chose de l’ordre d’une sensibilité voluptueuse et glorieuse à produire de l’ordre, de la puissance et de la sécurité. Et en cela, elle avait appris à respecter l’adversaire, car c’était de ce « savoir-décider et faire-décider » qu’on avait privé les classes serviles et populaires et qu’il fallait restaurer pour faire en sorte qu’un jour, le monde puisse se tenir, digne et debout. Pour ça, il fallait restaurer tout un pan d’autorités capable de servir, toujours plus haut, les intérêts vitaux de la démocratie : l’amour, le soin, l’entraide et l’inclusivité. Ensemencer collectivement, partout et de tous temps, les champs sociaux labourés et lésés des graines de la liberté et y faire advenir une autorité réparatrice et régénérative, capable de tout transformer sur son passage et d’offrir au monde cette part de société qui fait reculer et s’éteindre, progressivement, toutes formes de tyrannie et d’injustices. Féministe et socialiste, un jour, elle savait, que peu importe le temps, peu importe le sang, peu importe l’intelligence écoulée dans le sablier des affrontements, un jour les humains seront de nouveau capables de s’aimer, un jour, l’amour vaincra. Mais, pour l’heure, elle savait d’un air clair et entendu à quoi s’attendre avec ces gérants de grandes nations, qui par chance et affrontements passés, étaient encore, pour l’heure, suffisamment démocratiques.
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Elion Noor se préparait. il allait se mettre en scène. Il connaissait le processus. Il s’agissait, ici et maintenant, de faire pure réception, nu silence et bonnes vibrations. Se fondre dans le réel, tel qu’il est, nu de toute identité, de toute comportementalité. Mettre fin, intérieurement, à la soumission et à l’agitation. Dispensé de tout verbe et de tout devoir agir, être au monde était devenu pour Elion succulent, revigorant, limpide et facile. D’un moment à l’autre, il serait sur scène, il s’ouvrirait à la foule et offrira sa sensorialité et sa spiritualité en partage et en communion. Il dira des choses sur la bienheureuse vitalité, réunificatrice de liberté, pourfendeuse de souffrances, octroyeuse de bonnes sensations et de bons sentiments. Ecouter, réintégrer, régénérer dans le feu sacré de la vitalité toutes formes de vies abîmées et attirées par son bout de luminosité, voilà ce qu’il s’apprêtait à opérer. Unir, dans un cocktail d’harmonies, la vitalité biologique et la délectation des esprits.
Être pour Elion était quelque chose qu’on nous avait enlevé et qu’il s’agissait de se réapproprier. Pour cela, il enseignait qu’il fallait se dévêtir de tous les masques, de toutes les identités, toutes ces choses qui produisaient ici et là, de la fierté mal placée. Elion le savait bien. Si son corps en venait à prendre un malin plaisir quand on l’appelait Prophète, Élu, ou Messie, il se presserait aussitôt d’y décharger de la douleur quand on le disait Usurpateur, Gourou, Illuminé. Il savait qu’une identité, ça avait trop souvent pour but de blesser ou de faire obéir. Alors que pour lui, vivre plein bonheur, pleine liberté, c’était se révolter et réincorporer toute l’étendue de son innocence, c’était redevenir Personne. Alors voilà, ce soir, il communiquera, il libérera ce qui se libérera, en défendant profondément ce qu’il est, un corps-esprit, qui fait entendre à qui veut bien entendre.
Elion savait le bonheur et il savait l’agir. Un corps, c’est fait pour être heureux, un esprit, c’est fait pour rendre libre, prophétisait-il. Et l’âme, c’est fait pour ressentir et s’organiser dans ce grand jeu de la vie, partagé et brassé à l’infini, avec toutes les parts de beauté et de cruauté du monde, poursuivait-il. L’âme d’Elion reliait tout ce qui voulait exister encore et encore, face à tous ce qui voulait trop exister et ne plus exister. Un phénomène dans le monde était infernal et diabolique. Faire reculer le diable et libérer les âmes de la souffrance qui les blessait et les gâchait intérieurement, était pour Elion, l’impérieuse affaire, la seule chose qui comptait vraiment : refaire de nos intériorités des oasis de vitalité, constructeur-bâtisseur du paradis commun et terrestre, ici là.
Pour cela, il fallait, selon lui, réparer la religion. Lui retirer ses dévoiements mortifères et asservissants, lui redonner toute sa force bienveillante. En faisant, comme elle aurait toujours dû le faire, en unissant les êtres venus de tous horizons, de toutes croyances et de tous conformismes. S’unir et se déconformiser ensemble dans une libération et une jouissance croissante, naturellement économe en ressources et en énergie. Pour Elion Noor, la spiritualité marchait de pair avec la nature et l’écologie. Se spiritualiser, c’était pour lui se renaturer et s’écologiser ; c’était mettre un terme à sa surconsommation vitale et existentielle, et ensemble lutter contre toutes les sources toxiques de folies consuméristes qui cherchaient à remplir un vide impossible à combler. Et cela pouvait faire du paradis terrestre un enfer, littéralement, où tout deviendrait si chaud et pollué que la vie s’en serait allée. Pour Elion Noor, le monde devait faire révolution, et celle-ci sera spirituelle, écologique et religieuse, ou elle ne sera pas.
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Noah Pasteval comprenait. Il voyait ce qui faisait encore obstacle à son entreprise scientifique. Il avait fini par apprendre que ce qui faisait front à l’universalisation des bonnes pratiques se constituait à partir d’un mélange plus ou moins brassé de trois essences fondamentales : la peur, l’orgueil et le désintérêt. Longtemps, il avait eu du mal avec la peur, et maintenant il avait fait en sorte de pouvoir la ressentir, et ça l’avait rendu meilleur, ça l’avait rendu plus apte socialement et capable de participer à l’émergence d’un empire capable de transformer à grande échelle, la matière et les vies.
Sa puissante multinationale allait bientôt devenir leader mondial dans la thérapie intégrale de la santé mentale et physique. Intégrer et déployer, sans s’isoler, voilà en trois mots, toute la science au cœur des activités neuronales qui bâtissaient, selon Noah, le progrès. Pour lui, ce progrès ne devait souffrir d’aucune limite. Et surtout pas celles que les concurrences en voie d’obsolescence luttaient et se débattaient à coups de lobbying économique pour mettre des lois et des limites à tout ce qui pourrait entraver leur pérennité et leur avenir, même si cela n’était pas intègre, même si cela n’était pas bon pour le monde et toutes les vies qui la peuplaient et qui seront amenées à le faire.
L’activité principale de Noah consistait dorénavant à décortiquer, détourner ou démanteler toutes ces limites légalisées et instituées. Qui avait été posées par la société pour surprotéger des psychés enfermées dans leur orgueil à persévérer pour ne pas s’unir à l’autre, recluses dans leur peur d’explorer et d’y trouver la vérité, perdue dans leur désintérêt à se transformer et épouser le chemin qu’emprunte depuis toujours la vie, en perpétuelle mutation. Noah Pasteval était parvenu à tisser autour de son génie en biologie, en génétique et en noétique, une expertise suffisante en sociologie politique pour se donner les moyens d’atteindre cette fin : amener matériellement, la société humaine à être biologiquement bien dans un monde de mieux en mieux.
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Si vous êtes intéressé(e) à ce que ce projet de roman voit le jour, faites le moi savoir en commentaires 🙂
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