Dans quelle mesure pardonner ?

Cela fait quoi de pardonner ?

Cela apaise, cela désactive. Cela réconcilie, cela fait faire la paix.

Bien pardonner, c’est se donner la paix, s’octroyer le soulagement de sa sur-victimité. Sur-victimité qui est le nœud de douleur jouant avec les cordes psychiques du ressentiment et de la haine. Pardonner, c’est soigner la culpabilité, le ressentiment et la haine. C’est un premier pas vers la guérison de sa victimité nocive et abusive. Et où, comme nous le verrons plus tard, guérir de sa victimité ne peut pas s’opérer qu’en ayant recours au pardon. L’acte du pardon est ambivalent, avec une part positive et une part négative. Il ne suffit pas à conduire à lui seul l’apaisement qu’offre le sentiment de complétude retrouvée.

Avant tout, pourquoi nous engageons-nous dans la pente du ressentiment et sombrons-nous dans la haine ? Ces deux comportements étant inutiles et destructeurs. En premier lieu, le ressentiment enferme et accentue l’individu dans son impuissance. Car quand je m’agite, gémis, me plains, rouspète, j’y perds en attractivité sociale. En second lieu, la haine pousse l’individu dans des projections de scénarios de vengeances délétères. Car si je passais à l’acte de ce que ma haine me pousse à faire, j’y perdrais socialement. À quoi bon mal vivre l’impuissance ou s’en énerver ? N’est-ce pas là le symptôme d’une immaturité, d’une surréaction abusive pour soi et potentiellement pour les autres ?

Il est important de distinguer, avant d’aller plus loin, ce que la notion de victimité a également d’ambivalent. Nous sommes sensibles aux torts que la vie, le monde et les autres nous font. Cela induit en nous une part qui se victimise. Notre victimité, notre manière de réagir aux torts que l’on éprouve, est construite avec notre éducation. Les parents sont injustes envers les enfants. Les enfants sont injustes entre eux. Les parents sont injustes envers les autres parents et enfants. En gros, on évolue dans un monde qui manque sérieusement de justesse. Voilà un premier constat. Et notre psychisme a raison de se mettre en colère face aux injustices. Car la colère, c’est de l’agressivité animale au service de notre défense et de notre promotion en tant qu’être-à-part parmi les autres. Renier et refouler cette colère va engendrer un phénomène d’accumulation psychique dysfonctionnelle, qui va amener l’individu à souffrir de plus en plus du tort qu’il perçoit des autres. Il va se névroser. Donc, première astuce : écoutons toute l’étendue de notre sentiment d’injustice pour faire en sorte que notre victimité soit socialement plus fonctionnelle. Car tout ce que l’on renie trouvera un moyen psychique de se faire entendre, en nous faisant nous sentir mal.

La victimité est ambivalente. Elle est utile, parce qu’elle nous amène à prendre en compte les injustices afin d’y réagir au mieux. Et elle peut être inutile et maltraitante envers nous-mêmes et envers les autres quand la charge émotionnelle mélange la réalité du tort que l’on subit présentement avec l’ensemble des injustices passées que l’on a été amené à renier et refouler, que l’on a accumulées psychologiquement. C’est pourquoi on devient colérique. On surréagit démesurément à des broutilles. Parce que ces broutilles ont réveillé de vieilles blessures non encore traitées psychologiquement et socialement.

La victimité à une part bonne, la sensation et une part mauvaise : l’inadaptation réactive. En gros tout ce qui empêche de voir et comprendre la réalité telle qu’elle est va brouiller la réaction émotionnelle et comportementale et la rendre dysfonctionnelle. Et il y a une part de la réalité que l’on peut ignorer ou se voiler et qui joue un rôle majeur dans notre mauvaise réactivité à l’injustice. Celle qui provient du mécanisme psychologique du refoulement de nos sensations d’injustice et d’écoute de nos colères. Ce mécanismes qui entretient nos sous-réaction (soumission abusive) et nos sur-réactions (agressivité sociale). Les deux étant liées.

Abordons maintenant l’ambivalence du pardon. Pardonner, c’est arriver à inciter la part de nous jugeante et agressante à vouloir faire la paix. Afin d’éviter que cette part de nous continue à nous dévorer l’existence et le bonheur. Le pardon soulage une crise interne, il produit de l’apaisement psychique. Mais le pardon ne soulage pas forcément la crise externe : ce que les autres, dans leur comportements nocifs, peuvent continuer à nous faire subir.

Si c’est nous l’abuseur, demander le pardon à la part blessée de l’autre peut aider à la réconciliation. Cela y est même nécessaire, à condition que ce pardon soit juste (qu’il soit en pure cohérence avec les parts de responsabilités associées) et authentique (qu’on le pense et le veuille vraiment). Si je pardonne mal, c’est-à-dire que je ne pardonne pas ou que je pardonne sans nommer l’injustice et sans me protéger de sa réapparition, alors j’entretiens, voire j’accentue le mal de l’injustice.

Ce qui doit être amené à pardonner, ce n’est jamais la victime. C’est la part réactive de l’individu qui surréagit à un tort, sa sur-victimité-agressante, son état du Moi Persécuteur et normatif. Et vu que tout être gâche son vivre à être en sur-peur ou en sur-agressivité. Bien réagir passe par trouver le chemin le plus efficace et le moins coûteux vers la justesse, la sécurité et la paix. Et pour cela, il s’agit en premier lieu de guérir de son fonctionnement psychique délétère. Celui-là qui nous maintient dans l’impuissance et nous pousse à imaginer des scénarios extrêmes, comme la violence et le meurtre.

Il nous faut apprendre à savoir passer de l’émotivité à la compréhension. Un cerveau qui comprend, s’apaise. Quand il ne s’illusionne et ne s’identifie plus à un moi-contre, ni à un nous-ensemble, il s’apaise. Discerner d’une part toute l’étendue de notre individualité et de celles des autres : je ne suis pas les autres et j’ai des intérêts individuels naturels et légitimes à défendre et à promulguer, au même titre que les autres. Et discerner toute l’étendue de notre impuissance : je suis une pleine part infime de vie et du monde qui ne peut vouloir que ce qu’elle peut.

Et ce qui est cool là-dedans, c’est que tout individu peut cheminer vers un processus de guérison où l’être et le réel se conjuguent de plus en plus. L’affranchissant de ses « sur » et « sous » réactions, de ces névroses. Ce processus libérateur passe par l’investissement et la conjugaison de deux dynamiques intellectuelles contradictoires. L’union du processus d’individuation (je suis un) et du processus d’unification (je suis en lien profond et étroit avec le tout). Je suis un individu à part entière dans un monde à part et entier, qui me dépasse infiniment, et dont je peux éprouver la beauté et toute l’étendue de ce qu’il y a bon à y vivre tout comme la souffrance qui peut y séjourner.

Se rendre capable de totalité et de distinction et agir vers le Bien.

Cela implique ici trois voies de résolution complémentaires :

  • La rupture sereine (si les personnes qui me font souffrir ne veulent pas entamer un processus de guérison, je me protège et me met à distance de leurs parts nocives)
  • la colère transmutée (j’arrive à faire autre chose avec mon agressivité qu’imaginer des scénarios de vengeance inadaptés)
  • La libération du fardeau de la souffrance psychologique en se desamalgamant de la partie blessée et des parties protectrices qu’il faudra apprendre à soigner et guérir (avec la thérapie IFS)
  • L’action sociale directement et/ou indirectement réparatrices

Et pour aller encore plus loin dans ce processus de guérison, cela implique de comprendre que le « Moi » n’est qu’une construction mentale plurielle plus ou moins fonctionnelle et, qu’il est capable d’être transformer. Car il peut nous maintenir dans la souffrance si l’on ne le libère pas des fardeaux des intériorisations des dévalorisations que les autres nous ont amenés à intégrer par le passé.

Restaurer toute l’étendue de notre dignité. Restaurer toute l’étendue de notre innocence. Amener certaines parts de nous, protectrices de nos blessures par le recours à l’attaque et l’agression, à pardonner et à accorder aux parts blessées tout le soin et l’amour qu’elles méritent. Apprendre de tout cela et puiser une plus grande force et un plus grand plaisir dans le présent afin de mieux faire aller l’avenir. Un passé, un présent et un avenir de plus en plus réconciliés. De moins en moins perturbés par notre victimité abusive et notre agressivité vengeresse. De plus en plus assainis par l’acceptation et la réintégration de notre saine et véritable vulnérabilité et notre pleine et véritable vitalité animales. Afin que meilleure justesse se fasse.

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