Comment se libérer d’emprise psychologique ?

L’emprise psychologique est un phénomène insidieux qui est difficile à percevoir, à comprendre et à s’en libérer.

Elle est un phénomène de captation du système attentionnel et émotionnel d’un individu par un autre et/ou un groupe. C’est une prise de contrôle subtile sur les structures de sens : les croyances, les affects, la mémoire et le sentiment d’identité.

Dans ce processus, une personne monopolise la régulation émotionnelle de l’autre, et l’autre, peu à peu, externalise sa propre autorégulation : il délègue son « pouvoir de se sentir bien ou mal » à l’évaluateur extérieur. L’énergie vitale (affective, cognitive, comportementale) cesse alors de circuler librement ; elle se fige dans la boucle :

  • Phase Up : recherche de validation et valorisation du preneur d’emprise
  • Phase Down : recherche de validation et dévalorisation du preneur d’emprise
  • Phase de Remobilisation : besoin de justification, tentative de manipulation et réactivation du cycle

J’ai moi-même souffert d’une situation d’emprise qui avait pour effet d’amplifier mes ups et mes downs émotionnels et énergiques. Mon besoin d’amour, de reconnaissance et de sens a été exploité. Et cela fera bientôt un an que j’ai pris la décision de me protéger activement de ce phénomène profondément déséquilibrant. Ce qui conduira, comme très souvent dans ce cas de figure, à couper entièrement la relation avec le preneur d’emprise. Perdant partiellement un réseau relationnel nourricier, mais y gagnant considérablement en santé mentale et en solidité relationnelle.

Aujourd’hui, mon enjeu est moins de me protéger. Il s’agit surtout pour moi de me repositionner vis-à-vis des liens encore sous influence, de construire sans crainte de nouveaux projets professionnels, et de mieux dresser les contours de ma compréhension du pouvoir et de la conquête.

L’emprise psychologique : structures et typologies

Dans toute relation d’emprise, deux structures psychiques s’articulent et s’alimentent mutuellement :

  • Une structure motivationnelle captatrice : celle du preneur d’emprise, qui détecte les besoins et les mobilise à son profit.
  • Une structure psychoaffective dépendante : celle de la personne exploitée, qui cherche le lien, la reconnaissance et le sens.

L’exploitation ici est insidieuse, car elle ne repose pas seulement sur un rapport de force économique ou contractuel comme dans un travail salarié. Elle s’appuie sur une mobilisation psychique : le preneur d’emprise repère les besoins fondamentaux de l’autre (amour, sexe, reconnaissance, sens) et les instrumentalise pour servir ses propres intérêts.

Tous les preneurs d’emprise ne sont pas des pervers narcissiques

Il est important de distinguer les phénomènes d’emprise des structures pathologiques.

Tout psychopathe ou pervers narcissique exerce de l’emprise.
Mais toute emprise n’est pas le fait d’un psychopathe ou d’un pervers narcissique.

Typologie des preneurs d’emprise

1. Le psychopathe

Il présente un déficit d’empathie émotionnelle, souvent lié à un dysfonctionnement des circuits de résonance affective, notamment ceux impliquant les neurones miroirs.

Il perçoit les émotions sans les ressentir réellement : il voit la tristesse sans éprouver de compassion, comprend la peur sans la partager. Ce déficit affectif le rend inadapté à une véritable réciprocité émotionnelle et limite sa capacité à anticiper ou à prendre en compte les besoins d’autrui.

Pour lui, l’amour n’arrive pas à être un lien de reconnaissance mutuelle profond, et devient souvent un rapport de pouvoir. L’autre en arrive à exister comme source d’approbation ou objet d’obéissance, non comme sujet libre avec qui partager la vulnérabilité.

Peu sensible à la peur, en quête de sensations fortes, il peut jouer avec la moralité et transgresser pour se sentir vivant, pour éprouver le frisson du danger ou la jouissance du contrôle social.

Ce qui déroute souvent, c’est que le psychopathe peut s’émouvoir et même se montrer hypersensible. Il peut pleurer de détresse lorsqu’il perd du pouvoir ou des liens, ou encore manifester des émotions à des fins manipulatoires. Sa sensibilité n’est pas absente, mais désaccordée du lien empathique : il ressent pour lui-même, rarement avec l’autre.

Ce trouble n’est ni un état fixe ni un état partagé avec la même profondeur et intensité par tous les profils psychopathes, mais un spectre, comparable à celui de l’autisme. Il existe des formes plus ou moins marquées, allant de l’individu distant et froid ou sympathique et égocentrique, jusqu’au manipulateur dangereux totalement dénué d’affect.


2. Le pervers narcissique

Il n’a pas intégré la séparation affective fondatrice : la mère n’a pas été « suffisamment mauvaise », c’est-à-dire frustrante, différenciante, capable de mettre fin à la fusion affective pour permettre à l’enfant de construire son indépendance émotionnelle. Privé de ce passage initiatique, il demeure prisonnier d’une illusion fusionnelle : aimer, pour lui, c’est posséder totalement, être en entière maîtrise de l’autre plutôt qu’en lien avec lui.

Convaincu de sa supériorité, il vit dans une quête de toute-puissance et de valorisation permanente.

Il se sent sans limite, plein de ressources, légitime à enfreindre les règles sociales ou morales, qu’il a tendance à percevoir comme de simples contraintes réservées aux autres.

Sous cette assurance apparente se cache la faille d’abandon inconsciente liée au fait qu’il n’a pas fait le deuil de la fusion originelle avec la mère. Il séduit pour ne pas être seul, domine pour ne pas dépendre, brille pour ne pas ressentir le vide. Sa transgression est avant tout affective. Il franchit les frontières émotionnelles de l’autre pour tester sa loyauté, sa résistance ou sa soumission. Avec lui, c’est souvent tout ou rien.

Se percevant comme fondamentalement bon, puissant, parfait, il tolère mal ses failles (c’est son aspect narcissique). Ne pouvant les reconnaître, il les projette sur autrui (c’est son aspect pervers). Tout ce qu’il refuse de voir en lui, sa peur, sa dépendance, sa honte, devient chez l’autre une source de mépris ou d’agressivité. Il fait porter à l’autre le poids de ce qu’il ne supporte pas d’être.

L’autre n’est pas partenaire, mais miroir vivant chargé de refléter son image idéale, sans jamais ternir son éclat. Et dès que ce miroir se trouble, par imperfection, désaccord, autonomie ou critique, il s’irrite, se fâche, ou s’enrage. Car ce qu’il défend n’est pas la relation, mais l’intégrité de son illusion de perfection.

3. Le pervers narcissique psychopathe

C’est la fusion du calcul froid du psychopathe et de la mégalomanie blessée du pervers narcissique.

Il maltraite par déficit de compassion et instrumentalisation ; il fascine, exploite et dévalorise pour nourrir ses besoins de domination et de toute-puissance.

Chez lui, la séduction peut devenir une arme, la transgression un jeu, et la souffrance d’autrui un bien nécessaire. Il ne se nourrit pas du lien, mais du pouvoir que ce lien lui confère.

4. Les preneurs d’emprise “ordinaires”, les insécures

Ni pervers, ni psychopathes, ils exercent néanmoins une emprise psychologique du fait de leurs peurs affectives, de leur immaturité émotionnelle ou de leur rapport pathologique à la validation. Ils cherchent à contrôler, séduire ou convaincre pour se sentir en sécurité dans leur identité et leur valeur. Leur emprise n’est pas destructrice par nature, mais déséquilibrée : elle enferme la relation dans une dynamique de dépendance mutuelle où chacun perd sa liberté intérieure.

Dans cette dernière catégorie, la relation peut être plus ou moins asymétrique, parfois co-maltraitante, mais souvent encore porteuse de réciprocité authentique.

Sources :

CatégorieRéférences clésAxes théoriques
PsychopatheHare, Damasio, Baron-CohenNeurobiologie, déficit d’empathie, trouble antisocial
Pervers narcissiqueRacamier, Kernberg, Kohut, WinnicottPerversion narcissique, fusion maternelle, projection
Insécures / ordinairesBowlby, Ainsworth, Carnes, PerelAttachement, dépendance affective, peur du rejet

Et les donneurs d’emprises, qui sont-ils ?

Les donneurs d’emprise participent, souvent à leur insu, à la dynamique qu’ils subissent. Leur soumission n’est pas un choix conscient, mais l’écho d’une faille narcissique symétrique à celle du preneur. Là où l’un se vit tout-puissant, l’autre croit en la toute-puissance de l’autre. Parce qu’il l’a déjà ressentie, enfant, face à un parent dominateur ou abusif.

Pour compenser une vulnérabilité intérieure ressentie, le donneur d’emprise peut se perdre dans un processus d’idéalisation de l’Autre. L’amour, au lieu d’être reconnaissance mutuelle, devient ici validation : le regard de l’autre conditionne la valeur de soi.

L’enfant blessé, dévalorisé ou instrumentalisé, apprend à survivre en développant une empathie automatiquement soumise. Il associe amour et conformité, sécurité et soumission. Devenu adulte, il se sent exister quand il se rend utile, aimable, performant ou docile. Alors, au lieu de poser des limites, il donne. Et au lieu d’être aimé pour ce qu’il est, il cherche à être nécessaire, validé, choisi. L’amour se transforme en sacrifice, et l’empathie en abandon de soi.

Là-dedans, le donneur d’emprise ne se laisse pas juste dominer, il se laisse aussi définir. Il en arrive à déléguer à l’autre le droit de dire ce qu’il vaut, ce qu’il ressent, ce qu’il doit faire. Plus il doute de lui-même, plus il s’attache à celui qui semble détenir la clé de son identité.

Le donneur d’emprise s’est coupé de sa souveraineté intérieure. Il a perdu la capacité de dire “non”, de choisir, de penser librement, parce qu’il a pu apprendre que sa survie dépendait de la soumission. Alors, il se laisse faire être et faire faire.

Tandis que le preneur d’emprise, lui, s’est coupé de sa vulnérabilité intérieure. Il a perdu la capacité de composer, de coopérer, de coexister respectueusement. Parce qu’il a pu apprendre que sa survie dépendait de la domination. Alors, il fait seul, fait contre, ou fait faire, parce qu’il ne sait pas bien être et faire avec.

Comment se libérer de ce phénomène ?

Se libérer, pour le donneur d’emprise, consiste à redevenir autonome intérieurement : d’être capable de se donner à soi-même l’amour, la reconnaissance et le sens qu’on cherchait désespérément à travers l’autre.

Se libérer, pour le preneur d’emprise, consiste à redevenir vulnérable et interdépendant : d’être capable de partager avec l’autre sa vulnérabilité tout en respectant et éprouvant la saine et souveraine liberté de l’autre.

Le processus de libération ne peut structurellement s’engager qu’à partir d’une volonté suffisante d’émancipation et de guérison psychologique du donneur d’emprise. Le preneur d’emprise ne pouvant souvent n’être que dans la réaction colérique et manipulatoire vis-à-vis de ce processus d’émancipation.

Comment restaurer les liens, le sens et la liberté quand on a été longtemps « emprisonné » ?

On se libère d’une emprise moins en fuyant l’autre, qu’en se retrouvant soi.

C’est en retrouvant une capacité à sentir juste, à penser librement et à choisir en cohérence avec soi, sans peur excessive de la réaction d’autrui, que la part de nous donneuse d’emprise va pouvoir restaurer de la réciprocité non abusive.

Quand l’attention, l’amour et le sens cessent d’être captés par l’extérieur mais redeviennent une libre expression. Et cela, à partir du sentiment d’intimité intérieure et de raison apaisée qu’on peut entretenir sainement avec soi-même.

La guérison de la part de nous donneuse d’emprise s’accomplit lorsqu’elle réintègre la capacité à aimer sans se trahir. Elle passe par la restauration d’une valeur intime, bonne et inconditionnelle, indépendante du regard d’autrui. C’est ainsi qu’elle se libère des enjeux de pouvoir liés à la valorisation personnelle provenant d’une blessure de domination inscrite dans l’enfance.

Quant à la part de nous preneuse d’emprise, sa guérison réside dans la réintégration du manque et de la vulnérabilité. Apprendre à être avec l’autre sans le posséder ni le contrôler, à exister sans se mesurer, à être aimé sans se prouver. Mais cela semble demander une lucidité et une humanité rares, car pour celui qui a fait de la domination sa manière de survivre, reconnaître sa peur du vide peut revenir à frôler la mort symbolique…

Alors affrontons nos faiblesses et nos manques, avec empathie envers nos parts blessées et isolées. Restaurons ensemble l’équilibre et la confiance psychologique fondamentale.

Soignons et guérissons nos troubles de la valeur de nous. Et avec la pratique de la vie consciente et aimante, redevenons plus libres et vulnérables.

Laisser un commentaire

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑