– Houlà, tu n’as pas l’air dans ton assiette toi encore.
– Ça se voit tant que ça Simon ?
– Oui plutôt, encore tracassé par cette triste dynamique historique ?
– Bin oui, toi ça te fait rien ?
– J’avoue être un peu radical là-dessus, je pars du principe que je ne porte pas la responsabilité du monde, n’ayant pas décidé de naître, étant un produit de l’histoire de mon espèce et la société, j’assume uniquement ma part de responsabilité personnelle. Jusqu’à présent ça m’a rendu heureux et c’est pas en rajoutant de la souffrance intérieure qu’on combat le malheur du monde, au contraire. C’est quand on perd le fil de la saine responsabilité qu’on subit et donc qu’on souffre.
– Et du coup, tu penses que c’est quoi ta part de responsabilité personnelle ?
– Déjà, ce que je peux te dire, c’est que c’est pas un truc fixe, c’est quelque chose qui évolue.
– Qui évolue en fonction de quoi ?
– En fonction de trois choses : mes moyens, mes relations, mes valeurs. Plus j’ai les moyens d’agir sur quelque chose et plus je peux prendre une part de responsabilité sur celle-ci. Plus je suis en relation avec elle, c’est-à-dire plus elle m’implique et plus je me dois d’en devenir responsable, c’est à dire de m’en donner les moyens. Et enfin il y a une infinité de choses dont on peut avoir les moyens et qui peuvent nous impliquer, alors il faut se définir des priorités, et ces priorités, ce sont nos valeurs.
– Oui, en gros on en revient toujours à ce fameux périmètre de l’identité : à quoi je me sens appartenir ? Si je suis humaniste et communiste comme Marcel, je ne me poserais pas la question, ma souffrance serait au même rang que celles des autres, alors je donnerai ma vie pour apporter ma part à un monde meilleur si ma perdition est meilleure que la perdition d’un autre.
– Tu touches peut-être quelque chose du doigt là en amenant ton raisonnement sur le chemin de l’utilitarisme. Dans ton cas et si tu vas au bout de l’approche humaniste, jusqu’où tu peux agir pour atteindre ton optimum de responsabilité ?
– Bin si je les informe pas, ça fait potentiellement souffrir et mourir en partie trois familles et j’y gagne ma tranquillité vis-à-vis des autorités, autorité parentale incluse. Dans la balance cette tranquillité ne pèse pas lourd. Je pense pas qu’ils pourront remonter à moi si je leur donne le conseil de ne pas se présenter au commissariat. En fait là, je me dis que si j’agis pas, je perds mon humanité.
– Est-ce que tu pourrais vivre sereinement en faisant une entorse à cette valeur ? ou plutôt dans quelle mesure tu pourrais devenir plus égoïste ?
– C’est quoi cette question Simon ?
– Vas y joue le jeu comme on fait d’habitude, ni tabou ni jugement, jusqu’au bout des idées.
– Pour répondre au fait de pouvoir ne pas agir avec humanité, ça me semble très compliqué, je crois qu’elle me constitue trop. J’ai même l’impression que c’est un pléonasme. Mais j’imagine que dans l’absolu je pourrais peut-être me déreligiosiser de mon humanisme, d’enlever le sacré de la vie d’autrui, m’endurcir, me concentrer sur le développement de mon pouvoir et voir la mort et la souffrance comme quelque chose qui fait partie du jeu et ainsi relativiser toutes les injustices, tous les drames.
– Quand tu parles de pouvoir, de quel pouvoir tu parles ?
– Bin du pouvoir de gagner au jeu de l’évolution, si ma famille se développe, je fais gagner ma lignée dans cette grande compétition de l’épopée humaine.
– Bravo Paul, on croirait entendre un vrai nazi, je suis fier de toi haha !
– Bah une chose est sûre, ça serait trop dur pour moi d’être aussi déconnecté des autres. Je crois que j’aime trop les gens.
– On peut en déduire que c’est ton humanité qui souffre dans cette situation. Mais l’humanité, c’est aussi le nazisme. Du coup, tu comptes faire quoi Paul ?
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