– Vous, vous avez subi un drame.
– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? Mon fond de tristesse dans mon regard ? Réagit Philippe en regardant son reflet dans le grand miroir en face de lui.
– Non, juste quand on boit des verres d’alcool fort seul dans un bar, en général, c’est qu’il a quelque chose de lourd à digérer.
– J’ai une sacrée épreuve à traverser vous savez. Je ne suis pas fier de cette solution, mais aujourd’hui j’avais besoin de ça. J’ai refusé les cachets qu’on m’a prescrit pour soulager ma peine, j’ai dû faire ça par orgueil ou par peur de commencer à en prendre et de ne plus pouvoir m’arrêter.
– C’est sûr que l’alcool c’est beaucoup moins addictif comme drogue. Taquina l’inconnue venue de nulle part troubler son soulagement chimique.
Vous savez, il n’y a pas de mal à prendre des cachets quand on souffre, le temps de la crise. Les blessures à l’âme, c’est comme les blessures au corps. C’est juste qu’elles sont beaucoup moins visibles et plus coriaces.
Si jamais vous avez besoin d’aide pour traverser votre épreuve, contactez-moi. Dit-elle en déposant une carte de visite sur le comptoir où s’accoudait Philippe.
Sur la carte de visite on pouvait lire Salima M’Barek, accompagnatrice en reconquête de vie, 150€/h.
*
– C’est comme ça que vous trouvez vos clients, en allant dans les bars huppés dégoter les êtres esseulés en mal de vivre capable de dépenser des fortunes en thérapie ?
– C’est une de mes approches commerciales en effet. Plus efficace que Doctolib vous ne trouvez pas ?
– Peut-être oui, sourit Philippe. Vous avez des diplômes ?
– Non, je n’ai même pas de papier, mais j’ai du vécu et de nombreuses réussites. Je connais le chemin pour rééquilibrer le vivre, les pensées et les hormones.
Philippe se demandait si elle blaguait ou non sur ses papiers, et puis après si elle blaguait tout court sur tout. Je ne reviendrais pas si c’est une arnaque, en tout cas j’ai envie de jouer le jeu, pensa-t-il.
– les hormones dites-vous ? Vous distribuez aussi des drogues ? A ce prix-là, il est vrai que ça pourrait faire partie du package.
– Haha non, même pas. L’esprit est déjà une cuisine à hormones vous savez, si l’on ne se fait plus de bons petits plats maison et qu’on préfère les livraisons, ça nous coute plus cher et ça nous rend plus addict à la mal bouffe.
– Je vois et vous, vous avez la recette pour faire des plats maison c’est ça ?
– C’est ça. Répondit-elle avec aplomb, fixant Philippe droit dans les yeux. Tout son être dégageait des effluves de tranquillité, d’innocence et de bienveillance qui donnaient envie à Philippe de se laisser aller.
– Elle se rapprocha, mis sa main sur son épaule, agita les doigts de sa main droite devant les yeux de Philippe, puis claqua des doigts en disant assurément : plongez en vous.
Aussitôt la tête de Philippe pencha en avant, il fermait les yeux, se sentant déconnecté.
Elle poursuivit lentement. Je vous propose un espace à vous où il n’y a rien à faire que rien faire.
Laissez-vous aller complètement (Salima, utilisa son téléphone pour lancer une musique apaisante et méditative que l’on peut entendre dans les salons de massage). Philippe plongea en lui plus profondément se sentant de plus en plus apaisé. Il ne savait plus où il était, d’où il venait, avec qui il était, il n’était pas sur un nuage, il était ce nuage.
Ici, se trouve votre espace de sérénité.
Cet espace se trouve à proximité de votre cuisine intérieure.
C’est là que nous reprogrammeront votre cocktail émotionnel, réactionnel et hormonal. C’est dans cette cuisine que vous élaborerez la meilleure manière de vivre pour vous à présent et pour demain, et après-demain. Vous avez le droit à l’apaisement et au bonheur, quoiqu’il arrive dans votre existence. Accordez-vous le.
Comment vous sentez vous Philippe ?
– Je vais bien. Répondit-il calmement toujours dans la même position, la tête baissée, les yeux fermés. Mais je me sens perturbé par ce que vous venez de me dire. Comment puis-je être heureux alors que toute ma famille est morte ?
– Là vous ne le pouvez pas encore, vous avez encore besoin de tristesse pour nettoyer et guérir la blessure. Accordez-vous cette émotion. Vous y avez droit.
Philippe se mit à pleurer comme il ne l’avait jamais fait auparavant.
Après quelques minutes, elle reprit, vous pouvez revenir là avec moi et pleurer tout ce qu’il faudra, le temps qu’il faudra. Lui tendant un paquet de mouchoirs avec un visage empathique et un sourire juste.
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