– Alors vous avez pu vous y faire ?
– A quoi ?
– A la mort de votre femme et de vos enfants ?
– Et bin, vous au moins vous ne prenez pas de gants avec vos clients.
– On est là pour avancer, pas pour se cajoler. Prendre soin de ce qui nous fait mal, ça a jamais aidé à s’en délivrer. Ça vous fait mal comment encore ?
– Je dirais que c’est moins douloureux, plus je pleure et plus ça passe, plus ça passe, plus je reprends goût à la vie.
– Très bien Philippe, comme je vous l’ai dit vous avez le droit d’être heureux, l’abandon, la mort, quand elles nous impliquent ne sont pas une objection contre la joie d’être en vie. Les gens donnent souvent trop d’importance à la mort et à la séparation. Une gravité qui ajoute de la souffrance à la souffrance, beaucoup de gens s’enlisent avec la mort et l’abandon.
– Oui, enfin, c’est quand même plus simple à dire qu’à faire et si je suis heureux dans ces circonstances, les gens me prendraient pour un fou.
– Dans un monde malade, il est normal quand on vit sainement, de paraitre un peu fou.
– En tout cas, même si la douleur du deuil diminue, cela n’enlève pas le manque. Il est terrible ce manque. La quasi-totalité de mes pensées tournent en boucle sur ma femme et mes enfants.
– Quand vous aurez surmonter le deuil, une journée passera sans que vous pensiez à ceux que vous avez perdus. Mais je l’admets, on n’en est pas encore là. Comment ça fonctionne le manque selon vous ?
– Je dirais que c’est quand quelque chose de nécessaire qui n’est plus là et que cela déclenche une sorte d’alarme psychique qui nous met en mouvement pour retrouver cette chose.
– Quelque chose de nécessaire vous-dites ?
– Oui un manque, c’est quelque chose de nécessaire que le corps réclame, non ?
– Faux, on peut manquer de quelque chose d’inutile. Si je bois pour combler le déséquilibre d’endorphine qui ne serait jamais apparu sans mon alcoolisme, alors j’ai créé un phénomène de manque inutile pour mon existence. Quelle était l’utilité de votre famille ?
– Bin avoir une raison qui me fait lever tous les matins, ça vous semble inutile ça ?
– Oui c’est inutile. Pas besoin d’avoir une raison de vivre, on vit très bien sans ça.
– Vous rigolez ?
– Non je suis très sérieuse, on sacralise la mort, on sacralise la famille et après on s’étonne qu’on ait du mal à passer à autre chose.
– Vous, vous n’avez pas de raison de vivre ?
– Je n’ai pas besoin d’avoir des rêves illusoires pour permettre à mon cœur de continuer à battre. La vie est bien au-dessus de ce genre de préoccupation. Tant qu’il y a de la vie et que je peux m’y connecter, j’avance dans la vie avec légèreté, fidèle à ce qu’elle est. C’est quand on est fidèle à la morale des malades du vivre qu’on se flagelle sans pouvoir échapper à des pensées morbides, stériles et inutiles.
Salima sentit le besoin de revenir au besoin actuel de Philippe : mais bon, vous avez raison, la vie, c’est aussi du manque. Et ce qui est nécessaire pour vous, c’est de rediriger votre élan vital vers autre chose que des morts.
– Vous auriez pu au moins me demander si j’avais des problèmes cardiaques, votre thérapie choc, elle est pas pour toutes les âmes.
– C’est vrai, elle est tout à fait adaptée à votre capacité rationnelle hors du commun. C’est ça et votre humour qui vont vous faire économiser des années de souffrances. Tout adulte s’il n’était pas gâché par l’intériorisation des normes sociales toxiques pourrait traverser un deuil comme un enfant de huit ans le fait naturellement en quelques semaines si ces besoins affectifs sont de nouveaux comblés. Êtes-vous moins capable qu’un enfant de 8 ans ?
– J’entends le raisonnement, mais comment vais-je combler mes besoins affectifs ?
– Les besoins affectifs, c’est pour les enfants. Vous, vous êtes autonome, vous n’avez pas besoin que des grands vous aiment pour avoir de quoi manger dans votre assiette et de quoi jouer et dormir dans votre maison.
Sur ces mots Salima, se leva. Un silence s’installa. Elle se rapprocha de Philippe, mis sa main gauche sur son épaule droite. Maintenant regardez de nouveau mes doigts. Et clap, plongez en vous. L’hypnose opéra de nouveau. Philippe s’inclina aussitôt, plongea en lui.
Salima poursuivit en prononçant avec tranquillité, calme et force les mots qui lui semblaient pouvoir le mieux aider Philippe dans l’instant. Vous avez perdu des proches oui et pourtant là, vous vous sentez de mieux en mieux, vous sentez la vie s’écouler paisiblement et goulument en vous.
Vous avez le droit de souffrir, vous avez le droit de vivre, vous avez la possibilité de vous connecter à la vie qui ne se soucie pas de la mort, qui ne se soucie pas des morts, qui ne se soucie pas tout court.
Elle s’écoule, tout s’écoule. Ecoulez-vous.
Le chagrin s’écoule en vous, plus je vous parle et plus la perte se nettoie, plus la plaie se referme, plus la joie de vivre revient.
La vie qui était dans votre famille ne voudrait pas votre mort à l’âme. Personne ne veut votre mort à l’âme. Aimez-vous, aimez la vie en vous, c’est la meilleure manière de faire face à la mort.
Maintenant, imaginez-vous avec votre famille, il y a une cérémonie qui a été préparée pour vous. Il y a votre femme et vos enfants, ils sont beaux, comme pour un mariage ou pour un enterrement. Ils sont venus vous dire aurevoir.
Prenez tout le temps qu’il vous est nécessaire pour imaginer vos adieux. Cela sera la dernière fois que vous aurez besoin de les avoir près de vous.
A la fin, laissez-les s’en aller.
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