Une élite à la marge – Nouvelle – page 6

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– Comment vous sentez vous depuis la dernière fois ?

– Beaucoup mieux je dois l’avouer. Je rêve de ma famille la nuit, je suis anxieux le matin et j’applique vos exercices de méditation et cela me fait beaucoup de bien. J’arrive de nouveau à reprendre de l’intérêt pour mon travail. Et j’ai du mal à l’avouer mais j’en arrive à apprécier aussi une nouvelle forme de liberté.

– Je vais encore choquer, tout est ambivalent donc dans toute perte il y a quelque chose que l’on gagne. Et ce que l’on gagne, c’est souvent des préoccupations en moins et/ou des possibilités en plus. C’est le culte du deuil, le sur-respect face au lien sacré du mariage, au lien sacré de l’amour au-delà de la mort, au lien sacré de la lourdeur de vivre qui nous empêche de voir le bien dans les drames. Philippe commençait à s’habituer aux propos iconoclastes de Salima. Il avait pris goût à cette incroyable liberté d’esprit qui semblait aller de pair avec son mieux être.

Comment envisagez-vous votre réinvestissement professionnel ? Poursuivit-elle.

– J’ai envie de profiter de ma nouvelle liberté, pour transformer mon activité professionnelle vers quelque chose qui me plairait encore mieux, qui ferait plus sens aussi.

– Pourquoi, votre travail ne vous parait pas produire assez de sens ?

– Je mets au point des engrais et des pesticides innovants pour l’industrie agricole. Ça augmente les rendements, donc ça nourrit l’humanité et ça évite les famines mais d’un autre côté, ça détruit la biodiversité et ça augmente les maladies digestives et les cancers. J’ai toujours jusqu’à présent envisagé le bilan de ce que je faisais comme positif mais non optimal. Mon beau-père m’a toujours montré l’impact de la révolution agronomique comme quelque chose d’incroyablement positif : nous avons délivré l’humanité de l’horreur des famines, on ne meurt plus de faim aujourd’hui, disait-il. C’est quelqu’un qui sait motiver en mettant en perspective historique les choses, Mathilde tenait ça de lui sans doute. Philippe s’arrêta un instant, piqué par une légère pointe de tristesse.

– Comment pourriez-vous rendre votre travail plus optimal ?

– En mettant en place un programme que je développe depuis de nombreuses années dans la cadre de la R&D sur la transition écologique agricole. Il y a une pression politique de plus en plus importante sur les normes agricoles à aller vers une agro-industrie durable, sans les effets nuisibles des pesticides sur la santé. J’ai travaillé à mettre au point un nouveau modèle d’agro-industrie sans apport de pesticides chimiques dangereux pour le vivant. Je pense qu’avec ça, on pourrait nourrir l’humanité durablement en évitant les conséquences négatives sur la santé et la biodiversité. Mais à chaque fois que je le présente en comité de direction, la commercialisation de cette méthode avec des engrais et des pesticides biologiques et renouvelables parait trop risquée et est écartée catégoriquement. Nous sommes les leaders de l’agro-industrie conventionnelle, se serait comme scier la branche sur laquelle notre fortune repose.

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