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— On n’attend pas la coprésidente de la Ligue ? demanda Emmanuel, préoccupé.
— Clara m’a dit qu’elle allait arriver. Assia n’avait pas fini sa phrase que Clara ouvrit la porte.
— Salut les amis ! Déso pour le retard. On a bien coupé nos téléphones et rangé dans la boîte. Je suis venue avec Rebecca, notre petite génie de l’informatique. Elle a mené des actions de hacking assez énormes. Elle a détourné les pubs Facebook et les sites des entreprises cotées qui faisaient du greenwashing. Elle les a transformés en fact-checking pendant notre campagne La Bourse ou la Vie. Ça avait permis de faire une grosse com médiatique sur le vrai bilan écologique et social du capitalisme.
Rebecca, comme Clara, venait du Syndicat des Mal Employés. Autiste, elle n’avait jamais trouvé d’organisation capable de s’adapter à elle. Mais elle avait fini par militer, puis bosser pour la Ligue des Vivants. Elle était devenue responsable du pôle Actions Numériques. Un groupe d’hacktivistes qui était venu compléter la force des actions directes et publiques.
— Salut Rebecca ! Trop bien que tu sois là, tu vas pouvoir nous aider, se réjouissait Agathe. Parce que là, c’est la cata sur les datas. Tous nos comptes ont été supprimés. Plus rien. Réseaux sociaux : envolés. Le site web, Inaccessible. Tout l’historique a été effacé. Numériquement, on n’existe plus.
— OK, répondit Rebecca. Les failles dans le système d’info des syndicats étaient connues. C’était à prévoir. On a eu des attaques similaires contre le système informatique de la Ligue des Vivants, mais il a tenu. Il faudra déployer les mêmes sécurités pour l’Union des Non-Travailleurs une fois qu’on aura tout remis sur pied.
— Mais comment tu veux faire ça ?
— On fait des sauvegardes hebdomadaires de toutes les données de la Ligue et des Syndicats. Les données sont copiées sur un serveur interne complètement isolé. À priori, on aura perdu les publis des deux ou trois derniers jours, pas plus. On va pouvoir tout remettre en ligne.
— C’est top, mais nos comptes Facebook, X et TikTok ont été supprimés et bannis. Ils disent que c’est en accord avec leurs CGU. Et ils ont même communiqué dessus. Un communiqué de presse, des posts sur leurs plateformes. Ils nous font passer pour des terroristes, s’inquiétait Agathe.
Assia, calme, notait quelques mots dans son carnet. Puis, elle prit la parole.
— Vous savez quoi ? C’est bon signe. On leur fait peur. Ils veulent étendre cette peur pour mieux se défendre. À nous de riposter.
Elle leva les yeux vers le groupe.
— Ce qu’on fait, c’est juste. On a un projet de loi sur la fiscalisation des pubs internet qui arrive. Et selon nos contacts à l’Assemblée Européenne, ça peut passer. À condition qu’on continue de révéler les scandales des Big Tech. Ce que vous avez fait avec La Bourse ou la Vie et la campagne contre les Big Tech, pour les Communs est décisif. Vous avez montré que l’argent des pubs numériques permettrait de financer la totalité des indemnités de chômage, du RSA et des aides sur tout le continent. Une révolution numérique qui enrichit quelques-uns sans faire profiter les autres. Les réseaux sociaux doivent devenir publics, c’est une question de société. Vous vous êtes rassemblés, des centaines, devant leurs bureaux en Europe. Vous avez dénoncé les failles du système et ils continuent à en abuser.
— Ça en failles, ils s’y connaissent, ajouta Veronica. Psychologiques d’abord : ils détournent l’attention vers des conneries, des mensonges et des récits va-t-en-guerre. Politiques ensuite : ils vendent cette attention sans jamais rien redistribuer. Et maintenant, ils utilisent leurs failles réglementaires et techniques pour nous étouffer.
— On va répondre. Fort. Assia poursuivait, sûr d’elle et déterminée. Une contre-campagne médiatique. Vidéos. Témoignages. Rapports. On montre tout. On explique que lorsqu’on défend les citoyens, on est exclus. Mais quand on répand la haine, les manipulations, les plateformes laissent faire. On inverse le miroir. On leur dit : vous ne voulez pas nous inclure dans votre monde ? Alors on va vous inclure dans le nôtre. Celui de la citoyenneté. Et de la justice.
Faisons une action forte et coordonnée. Actions publiques + boycott des plateformes + hacking du système publicitaire si nécessaire. On exige qu’ils déploient une IA réellement préventive contre le harcèlement individuel et l’oppression collective. C’est possible. Le collectif des programmeurs humanistes a déjà une solution. Qu’ils ne récupèrent plus un kopeck tant que leurs plateformes ne sont pas impecs. Et ensuite, on demande une redistribution des profits : 20 % des revenus pub pour les inemployés.
— Ok, dit Clara. On mobilise la com de la Ligue. On balance les infos. On convoque des assemblées populaires. On lance la contre-offensive. Moins d’exclusion, plus de redistribution. On visibilise les décisions de vote des députés pour éviter qu’ils ne soient achetés.
— On pourrait aussi de nouveaux manifester devant les GAFAM, proposa Agathe. Mais cette fois-ci, bloquer l’accès à leurs bureaux. On les empêche de rentrer. On leur dit : « Vous nous interdisez d’exister publiquement et vous laissez la société s’écharper et s’endetter ? Ne vous étonnez pas que les citoyens vous interdisent de travailler. »
— « Vous avez des plateformes qui vous rendent riches. Nous, on est la société. Et on veut que vous soyez dedans, avec nous. Ni au-dessus, ni en exil », compléta Emmanuel.
Assia releva la tête, posée, droite.
— On va gagner.
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