Voilà une question pas tout à fait facile. Les traumatismes, c’est quoi et pourquoi c’est un problème ? Les addictions, c’est quoi et pourquoi c’est un problème ? Et en vrai, pourquoi les deux sont-ils liés ?
Je veux creuser ça avec vous, parce que je suis en train de me confronter à ça comme je ne m’y suis jamais confronté auparavant. Les addictions, ça va beaucoup mieux qu’à un moment donné. Pour l’instant, c’est surtout le sucre le problème. Mais néanmoins, que ce soit ça ou toute autre forme de plaisir, la puissance de la part qui me pousse à ça est toujours vigoureuse et bien présente. Je suis un alcoolique, un toxicomane, un assoiffé de sensations fortes, d’apaisement et de plaisir en puissance comme bon nombre d’êtres humains peuplant cette terre.
Vu qu’il y a un lien avec les traumas. Enfin, ce qu’en disent de brillants spécialistes comme Bessel Van Der Kolk et Richard Schwartz. Je voulais ici passer un brin de temps à mouliner sur la mécanique psychique qui fait qu’il y a quelque part en nous, quelque chose qui nous pousse à dériver du cap de la bonne existence.
Donc avant tout, c’est quoi la bonne existence ?
Dans l’idéal ici, la bonne existence serait de vivre dans un corps qui se sentirait bien en toutes circonstances sans avoir à recourir à des apports externes excessifs. Ouais, j’ai dit dans l’idéal. Mais en vrai, on voit bien qu’il y en a qui ne sont pas si loin d’épouser ce bon état. Les personnes qui ont reçu une génétique et une éducation suffisamment bonnes pour développer une saine estime d’elles-mêmes et qui ne s’affolent pas quand il s’agit d’interaction sociale. Qui restent zen et bienveillantes avec leurs émotions et avec celles des autres.
J’ai bien progressé sur cette voie. Et j’ai l’impression d’avoir enfin trouvé le système de représentation qui permet d’avoir les capacités d’aller jusqu’au bout d’un processus de guérison. Je vous explique.
Un trauma, c’est quoi ? C’est un bug émotionnel lié à l’effroi. Un trop-plein d’émotion qui nous a paralysés et dissociés quand on a été confrontés à une personne ou un événement potentiellement anéantissant. Nous sommes sensibles physiquement et psychologiquement, et quand on n’a pas d’autre choix que de subir de la peur et de la douleur sans pouvoir ni fuir ni attaquer, eh bien, bam, il y a de fortes chances que ça crée un trauma. On baigne dans une manière traditionnelle d’élever les gosses qui est abusive, dans une culture du trauma transmis de parents en enfants. On ne respecte pas assez l’instinct de survie, de valorisation et de préservation de nos enfants quand on les punit ou quand ils ont vécu une peur intense. Et la survie et la préservation ne sont pas uniquement des affaires de corps, elles sont aussi un enjeu psychique. Un être humain est plus qu’un corps. C’est un être. Un être sensible qu’on peut casser si on l’humilie, le dévalorise ou le rejette.
Bref, la domestication abusive nous casse. Elle casse notre système psychique qui est une machine à générer des sensations et des idées. Quand on vit et accumule des épisodes traumatiques, on détraque la machine. Des parts de nous se contaminent et se rendent inutilisables et malveillantes. Pour essayer de faire simple, un cerveau humain (et encore plus un cerveau d’enfant) est une éponge mimétique. On a besoin de modèles pour se constituer une personnalité. Le souci avec la domestication abusive, c’est qu’une part de nous risque de s’être approprié la comportementalité violente des abuseurs autoritaires.
On peut faire ça à un moment pour mieux vivre la punition physique et psychologique. On prend le comportement et le point de vue de notre agresseur un peu comme dans un manège à sensations, on prend le parti d’être pleinement volontaire pour s’extasier plutôt que subir. Du coup, en faisant ça, en prenant le parti de nos punisseurs, on se développe un comportement qui nous poussera à vouloir punir avec la même force et la même intensité, lorsque qu’un déclencheur de rage pointera le bout de son agacement. Plus la personne en face aura du pouvoir de récompense ou de contre-nuisance et plus on aura tendance à refréner cette pulsion. Ce qui arrive moins souvent quand il s’agit d’un enfant en bas âge dans un contexte et une norme sociale qui nous encouragent à voir celui-ci comme une possession. Bref, sujet sensible et pourtant si fréquent. La maltraitance infantile est un mal majeur de ce monde. L’asymétrie de pouvoir parent-enfant est des plus abyssale. L’abus peut y être des plus insoutenable. Mais les traumas ne sont pas tous liés à de la violence familiale, ils sont justes fréquents.
La maltraitance infantile nous rend violents d’une part. Elle nous rend effrayés d’autre part. Parce qu’un trauma est avant tout une peur qui n’a pas pu se digérer. Le danger est passé, et la sensation d’angoisse perdure. Le cambriolage a eu lieu et l’alarme continue à sonner. Alors, comme souvent dans nos lacunes éducatives, on a pas idée de faire le nécessaire : reconnaître la souffrance de la victime et la consoler du mieux possible en lui disant que c’est fini, que tout ira bien maintenant et qu’on va tout faire pour que cela ne se reproduise plus. En l’absence de ça, la victime enclenche un autre mécanisme qui le lui fera payer bien plus tard : le refoulement. Refoulement et déni de la réalité de la blessure infligée. Et comme cela est dit, ce processus a un coût.
Ainsi, cette part de nous qui s’est enfouie, qui a été reléguée sur le plan de l’inconscient, va, comme toute chose qui existe, vouloir être reconnue. Et pour cela, ces parts de nous fragiles et blessées vont parfois prendre les manettes de notre corps, tirer la sonnette d’alarme, en nous mettant dans la panique pour des choses où notre vie n’est aucunement menacée. On va surréagir par la panique parce que notre capteur de danger a été abîmé, embouti par l’impuissance et la terreur d’une menace réelle vécue par le passé, où nous avons pu nous dissocier pour ne pas avoir à l’endurer totalement.
On peut alors aussi surréagir par de la suragressivité pour éviter d’éprouver les souffrances passées et basculer en mode « je suis le méchant, le démon, ça m’évite de jouer le rôle de la victime qui subit et qui souffre ». Bref, des parts de passé abusif, terrifiant, humiliant veulent leur part de conscience, de reconnaissance et de consolation. Tant qu’on n’aura pas fait ça pour elles, on fuira. On tournera autour du pot de pisse et de merde qu’on n’a pas voulu ressentir en face. On se battra et on se fatiguera à essayer de garder la face alors qu’une part en nous, exilée, enfuie, nous hurle son vide, sa détresse, son urgence. Et pour ne plus subir ces états de sensations pesantes, rabaissantes, anéantissantes, on peut en arriver à se divertir, à boire, fumer et se droguer, à se masturber ou consommer quoi que ce soit compulsivement.
Heureusement, les traumas, ça se soigne. Mais avant de mettre cette guérison en synthèse et en fonction, faisons un petit point par rapport aux questions citées en introduction.
Les traumas, c’est quoi et pourquoi c’est un problème ?
Les traumas, c’est de la peur et de l’agressivité cachées et emmagasinées qui tentent de resurgir et qui nous poussent à agir de manière inadaptée : agressive ou fuyante, passive ou paralysante. C’est un problème parce que cela fait d’une part de nous des inadaptés. Ayant le sens de la raison et de l’adaptation comme autre fonction de notre cérébralité biologique : être inadapté malgré nous engendre une dissonance cognitive majeure, qui peut se vivre comme une forme de torture.
Les addictions, c’est quoi et pourquoi c’est un problème ?
Les addictions sont des envies compulsives qui apparaissent pour soulager un état de mal-être, souvent amplifié, voire créé, par le phénomène du manque, issu de l’appétence et de l’accoutumance propres à toutes les addictions.
Mais nul besoin de traumas pour en arriver à souffrir d’addiction. Il suffit juste de ne pas supporter l’ennui post-jouissance et le mal-être généré par la désensibilisation des récepteurs de plaisir liée aux excès. Le phénomène de l’appétence-accoutumance suffit à lui-même pour entretenir ce processus de poursuite de sursatisfaction délétère. Il n’est pas nécessaire d’avoir forcément une source de mal-être intérieur sous-jacente. Le processus de désintoxication sera juste plus facile, bien que toujours un défi.
Et en vrai, pourquoi les deux sont-ils liés ?
Les deux sont liés parce que le trauma engendre du stress, de la peur inutile et excessive, de l’angoisse, du vide. Pour soulager ces états souvent chroniques, le cerveau génère une envie de soulagement par un apport de plaisir compulsif.
Maintenant que le topo semble suffisamment clair, abordons, si vous le voulez bien, la résolution. Parce qu’on peut guérir de nos traumas et de nos addictions. On gardera sans doute des fragilités, mais on peut de nouveau se vivre de mieux en mieux, intensément et paisiblement. Et voici le gros du chemin : « Ce n’est pas ce qui nous est arrivé qui nous définit, mais ce que nous faisons de ce qui nous est arrivé. » Ce qui nous est arrivé, ce sont des épisodes de peur et de souffrances intenses et des comportements dysfonctionnels pris pour modèles. Avec ce vécu, notre cérébralité en est venue à s’installer dans une manière de s’émotionner et d’agir qui nous fait souffrir, nous ou les autres, nous isole ou nous suradapte.
La question ici, c’est comment peut-on guérir de ça ?
Et ben, voilà le schéma :
Premièrement, ne pas s’attendre à des miracles. Accepter le réel tel qu’il est et notre corps-esprit traumatisé tel qu’il est. Ça prendra le temps qu’il faudra. Surinvestir la guérison avec un trop-plein d’attentes sera contre-productif. L’idée ici est de se rendre plus heureux. La thérapie va agir en profondeur pour faciliter ce processus. Mais, il faut savoir que d’une part, on ne guérit pas du jour au lendemain de nos traumas, surtout s’ils sont liés à la prime enfance et à des épisodes répétés. D’autre part, la thérapie n’a pas vocation à rendre heureux, elle a vocation à soulager et rendre le pilotage psychique de notre corps et de notre esprit significativement plus simple, moins perturbé et moins perturbant.
Investir dans la thérapie donc, mais pas la surinvestir en pensant que c’est le graal. Le graal, c’est l’amour de soi, des autres et de la vie qui s’écoule à travers nous quand on plonge dans le silence de l’esprit et les bonnes vibrations de nos sensations. Le poison, ce sont les blessures psychiques. Et trop s’y frotter en brassant de vieux souvenirs éprouvants peut nous déstabiliser, nous insécuriser et nous replier sur nous-mêmes.
Ce qui comptera ici, c’est de bien le faire, car oui, nulle guérison sans réaffronter les souvenirs et les émotions du passé, aussi douloureux et effrayants soient-ils. Il faut voir ça comme un visionnage d’un film d’horreur dont on est pleinement volontaire. Mais pas se le tourner en boucle en mode Orange Mécanique, hein ? 😉
Le corps survit aux émotions les plus fortes, un corps est fait pour s’émouvoir donc allons-y. Faisons ce que nous n’avons pas osé faire jusqu’à présent, et qui a provoqué et entretenu le phénomène : faire face et voir la réalité en face, même la plus terrible. N’est terrible que la terreur, aurait pu dire la maman de Forrest Gump. Bref, il vous faudra du courage.
Ce qui est bien, c’est qu’il y a une part de nous qui n’en manque absolument pas et que l’IFS appelle le Self et qui résonne bien avec la notion de Self-control. Néanmoins si vous vous sentez pas suffisament en confiance et en possession de celui-ci, il est préférable de vous faire accompagner dans un processus EMDR auprès d’un.e thérapeute spécialisé.e dans le traitement des traumatismes psychologiques (idéalement avec les 2 compétences EMDR et IFS).
Donc l’important ici, c’est de prendre soin de soi, de se soigner et de se guérir pour qu’il soit beaucoup plus simple et facile de se rendre heureux. Et pour guérir, il faut pouvoir ressentir où on a mal. Il faut pouvoir se reconnaître comme fragile et vulnérable. Il faut être en conscience et en acceptation de nos lacunes, de nos émotions et de nos souffrances.
Il nous faut envisager que toutes les émotions sont permises, même celles que les normes sociales et familiales nous amènent à traiter comme des marques de faiblesse, comme la douleur, la peur ou la tristesse. Il va falloir réhabiliter les parties sensibles de nous que l’on a rejetées à des fins de survie et de promotion sociale. Donc, si vous voulez guérir, il faut pouvoir dire et ressentir que des parties de vous ont mal, sont peinées, tristes, effrayées, paniquées. Car ce sont ces parties-là qui se manifestent de toute manière malgré tout.
Vu qu’on lutte, qu’on fuit, se suradapte pour ne pas les ressentir en face, on se tend, on se fatigue, on s’épuise. Quand on est fatigué, quand un événement nous trouble et perturbe notre confiance en nous, la panique peut resurgir sans bien sûr qu’on l’ait invitée, elle connaît nos failles. Et si on les a tellement exilées, ces parties sensibles et blessées, elles se feront ressentir et connaître par des rêves perturbants, des cauchemars, des actes manqués et de manière plus somatique : crampes, lumbago, mal de dos, psoriasis, troubles de l’intestin irritable et inflammations en tout genre…
Bref, regardez la réalité en face, et constatez à quel point une part de vous peut-être paniquée et meurtrie.
Ensuite, il va falloir réintégrer toutes vos parts sensibles exilées. Ces parts sensibles qu’on a mises au ban de notre mode de fonctionnement. Comme dans Vice et Versa, quand Tristesse est refoulée et finit par être reléguée au second plan avec Joie. Il va falloir les faire revenir toutes nos parts sensibles exilées, les comprendre, les consoler, les prendre en compte, les aider à s’apaiser, à se décharger de leur passé traumatique et dévalorisant et à grandir de nouveau ensemble. Ici, je vous invite à lire les livres de Richard Schwartz sur l’IFS : Internal Family System, tout y sera dit. Et je vous conseille le livre Le corps n’oublie rien de Bessel Van Der Kolk, pour appréhender finement et scientifiquement tout ce qui compose et se joue dans le phénomène des traumatismes et leurs guérisons.
Nous avons des parts sensibles et il est bon d’en disposer en intégralité. Nous avons des parts activatrices et il est bon également d’en disposer en intégralité. Ces parts activatrices, c’est ce qu’on nomme les Drivers en Analyse Transactionnelle. En IFS, Richard Schwartz les nomme les managers. Ce sont nos manières d’agir sous stress si vous préférez. Elles se sont développées en fonction des injonctions des autorités sociales que nous avons intériorisées pour survivre et se promouvoir socialement. Des organes psychiques de soumission si vous préférez et qui peuvent répondre aux impératifs tyranniques suivants : sois parfait, fais parfait, sois fort, fais effort, fais plaisir, dépêche-toi.
Et il y a aussi des parts activatrices que nous avons jugées immorales et qui ont de fortes chances d’avoir été bannies : celles qui réagissent avec agressivité. Et qui se construisent naturellement pour répondre à nos impératifs biologiques de défense et de promotion en tant qu’individu dans la nature et dans la meute. Elles se nourrissent de tout ce qui propose une manière de survivre, se défendre, se promouvoir avec plus ou moins d’affirmation et de violence. Dont les comportements intériorisés de nos agresseurs, comme nous l’avons vu plus haut.
Il y a ici tous nos démons, nos pulsions bagarreuses, tortueuses, destructrices, tueuses. Des organes psychiques de violence et de rébellion si vous préférez. Et ces parts-là aussi, nous essayons de les refouler, mais le premier principe de la dynamique psychique est impitoyable : tout ce qu’on essaie de fuir et d’ignorer en nous, finit toujours par se retrouver à un moment ou un autre au bout de nos pensées. Nous ne pouvons indéfiniment lutter contre nos instincts. Donc, plutôt que de lutter contre, acceptons-les.
Remettons en question les rôles inadaptés que nos parts activatrices bannies ont développés plutôt que de rejeter les parts elles-mêmes. Soyons de bons coachs pour elles, aidons-les à défendre leurs intérêts vitaux, biologiques, sociaux avec plus de brio, d’adaptation et d’efficacité. Accueillons-les tels qu’elles sont, vêtus de leurs rôles tels qu’ils sont, inadaptés et incarnés par des formes d’expression des plus diaboliques et des plus impitoyables, socialement immorales et inacceptables. Et abreuvons-les de compréhension, de compassion et de raison.
Cela met du temps, mais un jour vous arriverez à dompter le dragon, le muter en gardien et protecteur, à l’écoute et non envahissant, de vos intérêts biologiques et sociaux.
Accueillons les parts activatrices, remercions-les de vouloir nous protéger, même si elles le font actuellement trop ou mal. Aidons-les à incarner des rôles qui leur plaisent davantage. Car quand les parts sensibles et blessées ne foutent plus la terreur et la déprime en nous, les parts activatrices peuvent se réinventer. Recueillons l’énergie enfouie ou abimée de toutes nos parts sensibles et activatrices et faisons avec, le meilleur scénario et la meilleur mise en scène pour jouir pleinement et harmonieusement de toute notre sensibilité et toute de notre expressivité.
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