Pourquoi suis-je un perdant ?

Ou devrais-je dire, pourquoi y a t-il du perdant en moi ?

Perdre vient du latin perdere (« détruire, ruiner, corrompre ; faire une perte »). Il y a une part en moi qui (me) détruit, (me) ruine, (me) corrompt, (me) perd.

Tandis que gagner vient de l’ancien français gaaigner, du bas latin * wadaniare, emprunté au vieux-francique * waidanjan (« paître »). Qui sous-entend selon moi la notion de jouissance paisible où l’on s’alimente en liberté, sans souffrir, parmi les siens.

En psychologie humaniste et plus particulièrement dans la théorie de l’Analyse Transactionnelle d’Eric Berne, est abordé le concept des scénarios de vie gagnants ou perdants où il faut entendre comme scénarios de vie gagnants non pas la vision idéalisée d’un ou une « winner alpha » qui réussit tout ce qu’il ou elle entreprend, mais plutôt une saine affirmation de soi parmi les autres qui poursuit les intérêts de son moi véritable (avec ses sensibilités, ses goûts, son idiosyncrasie). Où les comportements que nous nous offrons nous affranchissent des injonctions limitantes et négatives d’autrui qui nous poussent souvent dans des expériences de vie où l’on subit plus que l’on jouit.

Et si l’on remontait le fil biologique ?

Un jour, nous allons perdre la vie. Perdre est au cœur de notre processus biologique par la programmation de notre vieillissement qui nous mènera jusqu’au grand silence. Nous nous sommes développer par notre capacité à cultiver, exploiter et tuer des végétaux et des animaux pour nous nourrir. La vie a besoin de la mort. La continuation et l’évolution de l’espèce humaine a besoin de la mort pour que la vie y performe. Biologiquement, gagner par delà soi, passe par perdre par devant soi. Nous sommes condamnés à vieillir et à perdre notre jeunesse, notre forme, notre force, nos proches, notre souffle. Existentiellement, le temps peut nous faire gagner en sagesse (capacité à comprendre, à conquérir et à faire de bons choix) et nous pouvons laisser une trace de nous dans ce monde, que cela soit par l’enfantement et par l’impact positif que nous avons sur celui-ci : par les idées, les concepts, les réconforts, les rires, les organisations, les œuvres et les vies que nous laissons.

Notre capacité cérébrale exceptionnelle issue de notre biologie nous apporte de plus hauts niveaux de besoins que les autres espèces. Comme nous l’explique Abraham Maslow, notre nature entraine des besoins instinctoïdes (qui veut dire « qui nous pousse vers » sans le vouloir consciemment). Il y a les besoins instinctoïdes fondamentaux à satisfaire (manger, dormir, être en confort et en sécurité, dominer, faire l’amour, aimer et être aimer) tout comme des besoins instinctoïdes ontiques (qui touche la dimension de l’Etre) : être quelqu’un qui exhale sa particularité physique, sexuelle, psychique et intellectuelle, qui va au bout de ses possibles, qui est estimé pour ce qu’il fait et ce qu’il est (ses valeurs) et qui assouvi le besoin de découverte propre aux cognitions développées (ce qu’Aristote appelait le principe d’entéléchie).

Il y a une contradiction biologique fondamentale entre notre nature animale qui nous pousse vers la sécurité et la défense et notre nature humaine qui nous attire vers les plaisirs ontiques : l’estime de soi, la découverte et la liberté. Gagner une santé mentale passe par arriver à se « repaitre » de l’ensemble de sa nature humaine. C’est à dire de satisfaire les besoins fondamentaux tout en cultivant son être.

Et si l’on remontait le fil sociologique ?

Tout individu dans son existence est confronté à des tensions existentielles entre les 3 dynamiques sociales qui composent notre socialité.

Il y a d’abord là où notre individualité est faible et peu autonome, une approche sociale orientée vers la coopération et le partage. Il y a dans notre monde une soumission synergique avec l’autorité et avec les autres qui nous nourrissent organisée autour de mythes et de rites. Cette approche est la ressource fondamentale à la construction d’organisations sociales fortes et sécurisantes : la civilisation.

Il y a pour les plus forts d’entre nous le principe social de sélection et de domination. Il y a au cœur de notre individualité une pulsion de domination qui nous pousse à obtenir plus de pouvoirs sur autrui, de se construire une intelligence stratégique et sociale pour faire faire (que ce soit l’ingénieur qui fait faire par la machine ou le manager qui fait faire par le pouvoir d’autorité hiérarchique ou le politique qui fait faire par le pouvoir de l’autorité policière et militaire) et en obtenir des bénéfices économiques, sociaux et moraux.

Et, il y a pour les plus libérés (désaliénés) d’entre nous une propension à l’indépendance et à la liberté. Une volonté de s’abstraire des modes sociaux basés sur la soumission et la domination qui sont à la bases de notre civilisation et de ses aliénations.

S’inclure par la soumission, dominer par son autorité, se libérer par sa conscience. Qui sont les gagnants, qui sont les perdants ?

Ceux qui se soumettent gagnent en reconnaissance et perdent en jouissance et en liberté, ceux qui dominent gagnent en jouissance et perdent en reconnaissance et en liberté, ceux qui se libèrent gagnent en paix et perdent en reconnaissance et en jouissance.

Nos vies ne sont pas le fruit de comportements mono-centrés mais d’un équilibrage plus ou moins conscient et donc plus ou moins décidé entre soumission, domination et liberté.

Socialement, où se situe gagner ? Un juste mélange des trois propensions par une soumission à des projets qui rendent heureux, par une domination qui rend libre, par une libération qui fait sens ?

Et si l’on remontait le fil psychologique ?

Le système relationnel familial et tribal et les enjeux de notre espèce sculptent notre psyché, c’est à dire notre manière de nous émouvoir, de relationner avec les autres. Ces autres qui ont eu de l’autorité sur nous et dont nous intériorisons les réactions pour automatiser nos comportements en fonction des risques et des bénéfices que nous avons assimilés avec notre niveau de développement de l’époque (niveau d’autonomie physique, affective et intellectuelle) resteront en nous toute notre vie mentale. Ces personnalités agissent comme des instances psychiques, des fantômes, des spectres dans notre vie intérieure. Elles ont du pouvoir en nous, nous nous racontons des histoires avec, nous élaborons des attitudes et des comportements avec, nous nous construisons des scénarios d’existence avec. Scénarios de vies qui nous mènent vers la survie, le vie, le bonheur, les réussites, les échecs, les remords, les prisons et la mort prématurée.

Selon Eric Berne, l’estime de soi joue un rôle clé dans l’histoire de notre existence. Si nous sommes fondamentalement OK avec nous-même et avec les autres, nous créerons plus favorablement des histoires collectives positives. Si nous sommes Ok avec nous-mêmes mais pas avec les autres, nous créerons des histoires individuelles isolées qui nous priverons du bonheur du partage. Si nous sommes OK avec les autres et pas avec nous-même, nous nous inscrirons dans des histoires collectives décevantes qui nous priveront du bonheur de la réussite. Si nous sommes ni OK avec nous-même ni avec les autres, nous créerons des histoires individuelles dépressives et mortelles.

Nous devons tous composés avec les parts des autres qui nous ont construit ou déconstruit.

C’est sur ce point que j’ai pour ma part un fardeau. Comme très beaucoup, il y a eu du maltraitement dans mon enfance. Sous stress trop important et prolongé, je peux rechuter. Sous stress subi, je finis par me désaligner, je veux nuire ou je m’écroule.

En gros : Stress = idéalisation × enjeu. Il y a au cœur de ce mécanisme psychologique une meurtrissure au niveau de l’estime de moi. Pourquoi je m’idéalise ? Par la honte. Pourquoi j’idéalise ? Par la crainte ou le dégoût. Pourquoi je prends des responsabilités stressantes ? Par esprit de conquête d’estime. Il y a donc trois manières d’agir sur le stress :

  • se désidéaliser, être authentique avec soi-même
  • désidéaliser le monde et les autres, lui enlever notre part de nous en lui et de nous en eux
  • réajuster son ambition, comprendre ce qui compte vraiment au fond de nous-même.

La psychothérapie agit sur nos comportements, nos comportements sur les récompenses existentielles. La psychologie nous aident à nous connaitre. Cependant elle ne nous aide pas à nous transformer au delà de ce que l’on est, au delà de ce que l’on a vécu.

En une question : mes désirs dans la vie sont-ils au service de moi ou au service du conditionnement d’autorités extérieures qui sont ou ont été plus ou moins toxiques pour mon être ?

Et si l’on remontait le fil philosophique ?

Le désir de sagesse est une propension humaine pour les individus dont la cérébralité prévaut sur l’instinctivité animale. La philosophie est écoute de soi et raison. Les deux comportements intellectuels qui nuisent à la bêtise et permettent de faire des choix intelligents pour soi et pour les personnes dont ont a la charge. Attitude réflexive qui nous éloignent de nos comportements et de nos scénarios d’existences conditionnées.

La bêtise ou l’art de se perdre dans la binarité.

La sagesse ou l’art de se gagner dans la complexité.

La bêtise nous fait perdre la face à pile ou face, l’individuation puérile nous pousse à généraliser, à voir un bien et un mal en dehors, un bien-moi et un mal-autre et non un bien et un mal en dedans et en dehors, un bien-bon-vivant et un mal-carence-violence.

La sagesse nous fait perdre la face (le masque ?) avec l’amertume et le tranchant de la vérité, la perte de soi dans un tout qui nous dépasse et nous transcende sans renier notre part d’animalité, d’humanité et d’individualité.

Et si l’on remontait le fil politique ?

Nous naissons dans des sociétés dont l’état de fait politique d’asymétrie des pouvoirs produit des règles sociétales déséquilibrées entre dominants, dominés et libérés. Nous naissons dans une société avec un cadre inégal et injuste et donc plus ou moins propice à notre développement en fonction de notre classe sociale, de notre « race », de notre genre, de nos aspirations et de nos capacités individuelles.

La politique impacte notre potentiel de bonheur en société. les gouvernances des sociétés humaines se construisent de mon observation sur le modèle psychologique de la famille.

En simplifiant beaucoup, ceux qui ont du pouvoir bénéficieront des avantages propres aux parents (fierté et pouvoir) en contre partie de leur soucis et de leurs responsabilités.

Ceux qui ont moins de pouvoir bénéficieront des avantages propres aux enfants (insouciance, plaisirs ludiques, imaginations, assistances) en contre partie de leur faible autonomie et de leur soumission (faire efforts, faire parfait, faire plaisir) ou des inconvénients propres aux enfants (autorité parentale abusive, censure qui pousse à la fuite ou à la rébellion en fonction du caractère nourricier ou normatif du système d’autorité politique).

Ceux qui ont suffisamment d’autonomie bénéficieront des avantages propres aux adultes (liberté et respect) au détriment parfois de leur popularité.

Le problème la dedans c’est qu’on choisit pas vraiment son rôle dans cette bonne vieille grande famille sociétale paternaliste, les dés sont pipés. Les gagnants engendrent très souvent des gagnants, les perdants, des perdants et tout le monde est un peu perdant et la nature surtout.

20 commentaires sur “Pourquoi suis-je un perdant ?

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  1. Bonjour.
    Chacun est responsable de lui même avant de pouvoir répondre aux questions du monde.
    Malheureusement, l’homme a la fâcheuse tendance de trop se préoccuper des autres…. En cela, le cheval a beaucoup à nous apprendre sur nous même.
    Gagner quoi ? Pourquoi faire ? C’est simplement le regard de cette société avec ses concepts de plus en plus idiots et anxiogènes (c’est bien connu, la peur tue l’esprit)…..
    J’ai laissé tomber mon image sociale depuis un peu plus de 10 ans. Je me fiche pas mal de ce que la bonne société pense de cette décision.
    Ça ne fait pas de moi une solitaire en marge parce que d’autres ont le même état d’esprit.
    Et comme nous sommes mortels, je vis de façon à ne rien regretter.
    Ton article est intéressant et la réflexion pertinente.
    Je te souhaite une excellente soirée.

    Aimé par 1 personne

      1. Les médias véhiculent la peur car quand tu as peur, tu es dans l’incapacité d’avoir une réflexion. La peur est paralysante, source d’angoisse. Cette peur monopolise l’esprit sur le seul sujet qui la provoque.
        On vient de le voir avec le Covid d’ailleurs.
        Je n’ai pas de télévision et je n’écoute pas la radio. Je lis les publications que je reçois (je suis psychologue et éthologue), donc des comptes rendus d’études et recherches.
        Je n’ai pas changé ma vie et cette pseudo crise sanitaire ne m’a pas touchée sauf par mes filles par exemple qui sont en région parisienne et ont été envahies par la pression médiatique. Pourtant personne n’a été malade dans leur entourage et elles utilisent les transports en commun.
        Antinomique……
        Un virus mortel dans le métro parisien aurait tué pratiquement tous les utilisateurs.
        Mais la peur a bloqué cette simple réflexion.
        Surprenant ?
        Non. Nous savons que la peur bloque toute réflexion pertinente. Nous savons aussi que ce sentiment divise. En restant sur cette pseudo crise, on peut le voir aujourd’hui avec la vaccination de masse devenue la seule alternative. Là encore, aucune réflexion sur le rapport bénéfice/risque de ces vaccins sur lesquels nous n’avons aucun recul.
        La peur d’un virus, la peur de la mort…. Et l’oublie des gilets jaunes, des magouilles des gouvernements et l’absence de toute forme de résistance.
        Cette peur monopolise l’esprit au point de laisser des mesures liberticides se mettre en place.
        La question est : à qui ça profite tout ça ?
        J’ai pris cet exemple mais tu retrouveras ce phénomène dans l’histoire. La peur tue aussi la mémoire.
        Je te laisse sur ce sujet. Bonne journée.

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      2. Bonjour Angélique et merci pour cette réflexion et le partage de ton point de vue. En effet l’excès de peur peut engendrer la repli, la haine, la paralysie intellectuelle et relationnelle et surtout le rapprochement et la soumission à des systèmes politiques sur-sécuritaires liberticides. Ce phénomène est bien trop souvent exploité par des dirigeants portant des programmes totalitaires qui utilisent les peurs collectives en persécution de minorités et en exploitation du plus grand nombre. Je tiens juste à apporter une nuance sur le fait que la peur est une émotion naturelle saine et utile, qu’il faut savoir écouter (pour éviter les danger dans l’ici et maintenant et prendre en compte ses fragilités pour ne pas qu’elles se transforment parfois en colère excessive). L’important c’est que cette peur ne contamine pas notre raison comme tu le décris si bien dans ton post. C’est pour cela que je préfère parler ici d’excès de peur. Belle journée

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    1. Merci Hélène pour ton message et pour cette belle citation et la référence au lumineux Bruno Giordano qui avait d’ailleurs lancé un « Vous avez plus peur que moi ! » aux organisateurs de son procès dans un contexte terrible d’inquisition et d’obscurantisme. La contradiction de sa pensée avec celle du pouvoir totalitaire en place et sa prise de parole lui ont été fatal. Il nous laisse son désir du Vrai en héritage.

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  2. Je peux dire que je suis tout à fait consciente des mécanismes sociaux qui avancent très doucement, mais question actions, c’est plus difficile de se faire entendre, de se faire croire, de faire bouger les choses qui ne sont pas faites pour le bonheur. Il y a des aspects de certaines personnalités qui sont à l’inverse du bien-être et du bonheur pour tout le monde. Question Malheur, hélas, il est bien présent dans le monde et évolue parfois plus vite.

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